Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

risques, comme ceux auxquels s’expose un malade qui ne suit pas les avis de son médecin ; mais la désobéissance, dans ce cas, ne constitue pas une faute ; elle n’indigne pas. Il n’y a pas de péché magique. Cette différence dans les sanctions tient, d’ailleurs, à une différence profonde dans la nature des interdits. L’interdit religieux implique nécessairement la notion du sacré ; il vient du respect que l’objet sacré inspire et il a pour but d’empêcher qu’il soit manqué à ce respect. Au contraire, les interdits magiques ne supposent que la notion toute laïque de propriété. Les choses que le magicien recommande de tenir séparées sont celles qui, en raison de leurs propriétés caractéristiques, ne peuvent être mêlées ou rapprochées sans dangers. Si même il lui arrive d’inviter ses clients à se tenir à distance de certaines choses sacrées, ce n’est pas par respect pour elles et de peur qu’elles ne soient profanées, car la magie, nous le savons, vit de profanations[1] ; c’est uniquement pour des raisons d’utilité temporelle. En un mot, les interdits religieux sont des impératifs catégoriques ; les autres sont des maximes utilitaires, première forme des interdits hygiéniques et médicaux. On ne peut, sans confusion, étudier simultanément et sous un même nom deux ordres de faits aussi différents. Nous n’avons à nous occuper ici que des interdictions religieuses[2].

Mais entre ces dernières elles-mêmes, une nouvelle distinction est nécessaire.

Il y a des interdits religieux qui ont pour objet de séparer, les unes des autres, des choses sacrées d’espèces différentes. On se rappelle, par exemple, comment, chez les

  1. V. plus haut, p. 59-60.
  2. Ce n’est pas à dire qu’entre les interdits religieux et les interdits magiques il y ait une solution de continuité radicale : il en est, au contraire, dont la nature vraie est indécise. Il y a des interdits du folklore dont il est souvent malaisé de dire s’ils sont religieux ou magiques. La distinction n’en est pas moins nécessaire ; car les interdits magiques ne peuvent, croyons-nous, être compris qu’en fonction des interdits religieux.