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que la mythologie des grands dieux et celle de ces totems sont étroitement parentes. Cette parenté apparaîtra comme plus évidente encore si l’on remarque que l’émule du dieu est régulièrement ou le corbeau ou l’aigle-faucon qui sont, d’une manière générale, des totems de phratrie[1].

Baiame, Daramulun, Nuralie, Bunjil semblent donc bien être des totems de phratrie qui ont été divinisés ; et voici comment on peut concevoir que se fit cette apothéose. C’est manifestement dans les assemblées qui ont lieu à propos de l’initiation que s’élabora cette conception ; car les grands dieux ne jouent un rôle de quelque importance que dans ces rites, tandis qu’ils sont étrangers aux autres cérémonies religieuses. D’ailleurs, comme l’initiation est la forme principale du culte tribal, c’est seulement à cette occasion qu’une mythologie tribale pouvait prendre naissance. Déjà nous avons vu comment le rituel de la circoncision et celui de la subincision tendaient spontanément à se personnifier sous la forme de héros civilisateurs. Seulement, ces héros n’exerçaient aucune suprématie ; ils étaient sur le même pied que les autres bienfaiteurs légendaires de la société. Mais là ou la tribu prit un plus vif sentiment d’elle-même, ce sentiment s’incarna tout naturellement dans un personnage qui en devint le symbole. Pour s’expliquer à eux-mêmes les liens qui les unissaient les uns aux autres, à quelque clan qu’ils appartinssent, les hommes imaginèrent qu’ils étaient issus d’une même souche, qu’ils étaient les enfants d’un même père à qui ils devaient l’existence sans que lui la dût à personne. Le dieu de l’initiation était tout désigné pour ce rôle ; car, suivant une expression qui revient souvent sur les lèvres des indigènes, l’initiation a précisément pour objet de faire, de fabriquer des hommes. On attribua donc à ce dieu un pouvoir créateur et il se trouva, pour toutes ces raisons, investi d’un prestige qui le mit bien au-dessus des autres

  1. V. plus haut, p. 207. Cf. P. Schmidt, L’origine de l’idée de Dieu, in Anthropos, 1909.