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Ce caractère essentiel serait inexplicable si l’idée d’âme n’était qu’une solution pré-scientifique apportée au problème du rêve : car, comme il n’y a rien dans le rêve qui puisse éveiller l’émotion religieuse, la cause par laquelle on en rend compte ne saurait être d’une autre nature. Mais si l’âme est une partie de la substance divine, elle représente en nous autre chose que nous-mêmes ; si elle est faite de la même matière mentale que les êtres sacrés, il est naturel qu’elle soit l’objet des mêmes sentiments.

Et le caractère que l’homme s’attribue ainsi n’est pas le produit d’une pure illusion ; tout comme la notion de force religieuse et de divinité, la notion d’âme n’est pas sans réalité. Il est bien vrai que nous sommes formés de deux parties distinctes qui s’opposent l’une à l’autre comme le profane au sacré, et l’on peut dire, en un sens, qu’il y a du divin en nous. Car la société, cette source unique de tout ce qui est sacré, ne se borne pas à nous mouvoir du dehors et à nous affecter passagèrement ; elle s’organise en nous d’une manière durable. Elle y suscite tout un monde d’idées et de sentiments qui l’expriment, mais qui, en même temps, font partie intégrante et permanente de nous-mêmes. Quand l’Australien sort d’une cérémonie religieuse, les représentations que la vie commune a éveillées ou a réveillées en lui ne n’abolissent pas d’un seul coup. Les figures des grands ancêtres, les exploits héroïques dont les rites commémorent le souvenir, les grandes choses de toutes sortes auxquelles le culte l’a fait participer, en un mot les idéaux divers qu’il a élaborés collectivement continuent à vivre dans sa conscience et, par les émotions qui y sont attachées, par l’ascendant très spécial qu’ils exercent, ils se distinguent nettement des impressions vulgaires qu’entretient en lui son commerce quotidien avec les choses extérieures. Les idées morales ont le même caractère. C’est la société qui les a gravées en nous, et, comme le respect qu’elle inspire se communique naturellement à tout ce qui vient d’elle, les normes impératives de la conduite se trou-