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Anje-a, qui est préposé au phénomène de la procréation, va recueillir ce choi et le conserve jusqu’à ce que l’enfant, devenu adulte, se soit marié. Quand le moment est venu de lui donner un fils, Anje-a prélève une parcelle du choi de cet homme, l’insère dans l’embryon qu’il fabrique et qu’il introduit dans le sein de la mère. C’est donc avec l’âme du père qu’est faite celle de l’enfant. Il est vrai que celui-ci ne reçoit pas tout d’abord l’intégralité de l’âme paternelle, car le ngai continue à rester dans le cœur du père tant que ce dernier est en vie. Mais quand il meurt, le ngai, libéré, va, lui aussi, s’incarner dans le corps des enfants ; il se répartit également entre eux s’il y en a plusieurs. Il y a ainsi une parfaite continuité spirituelle entre les générations ; c’est la même âme qui se transmet du père aux enfants et de ceux-ci à leurs enfants, et cette âme unique, toujours identique à elle-même malgré ses divisions et ses subdivisions successives, c’est celle qui animait à l’origine des choses le premier ancêtre[1]. Entre cette théorie et celle des tribus du centre il n’y a qu’une seule différence de quelque importance ; c’est qu’ici la réincarnation est l’œuvre non des ancêtres eux-mêmes, mais d’un génie spécial, professionnellement préposé à cette fonction. Mais il semble bien que ce génie soit le produit d’un syncrétisme qui a fait fusionner en une seule et même figure les figures multiples des premiers ancêtres. Ce qui rend cette hypothèse au moins vraisemblable, c’est que le mot Anje-a et celui d’Anjir sont évidemment très proches parents ; or le second désigne le premier homme, l’ancêtre initial de qui tous les hommes seraient issus[2].

  1. Roth, Superstition, etc., § 68 ; cf. 69 a, le cas semblable des indigènes de la Rivière Proserpine. Pour simplifier l’exposé, nous avons laissé de côté la complication qui tient à la différence des sexes. L’âme des filles est faite avec le choi de leur mère, tandis qu’elles partagent avec leurs frères le ngai de leur père. Cette particularité, qui vient peut-être de ce que les deux systèmes de filiation ont été successivement en usage, n’atteint pas, d’ailleurs, le principe de la perpétuité de l’âme.
  2. Ibid., p. 16.