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le premier lance un namatuna dans le corps d’une femme, c’est comme s’il y pénétrait lui-même. En fait, nous avons vu qu’il s’y introduit parfois en personne à la suite du namatuna ; d’après d’autres récits, il l’y précède ; on dirait qu’il lui fraye la voie[1]. Le fait que ces thèmes coexistent dans un même mythe achève de montrer que l’un n’est qu’un doublet de l’autre.

D’ailleurs, de quelque manière que la conception ait eu lieu, il n’est pas douteux que chaque individu est uni à un ancêtre déterminé de l’Alcheringa, par des liens exceptionnellement intimes. D’abord, chaque homme a son ancêtre attitré ; deux personnes ne peuvent avoir simultanément le même. Autrement dit, un être de l’Alcheringa ne compte jamais qu’un seul représentant parmi les vivants[2]. Il y a plus, l’un n’est qu’un aspect de l’autre. En effet, le churinga laissé par l’ancêtre exprime, comme nous le savons, sa personnalité ; si nous adoptons l’interprétation que rapporte Strehlow, et qui est peut-être la plus satisfaisante, nous dirons que c’est son corps. Mais ce même churinga est apparenté de la même manière à l’individu qui est sensé avoir été conçu sous l’influence de l’ancêtre, c’est-à-dire qui est le fruit de ses œuvres mystiques. Quand on introduit le jeune initié dans le sanctuaire du clan, on lui montre le churinga de son ancêtre en lui disant : « Tu es ce corps ; tu es la même chose que cela[3]. » Le churinga est donc, suivant l’expression même de Strehlow, « le corps commun de l’individu et de son ancêtre »[4].

  1. Strehlow , I, p. 53-54. Dans ces récits, l’ancêtre commence par s’introduire lui-même dans le sein de la femme et il y produit les troubles caractéristiques de la grossesse. Puis il en sort et ne laisse qu’ensuite le namatuna.
  2. Strehlow, II, p. 76.
  3. Ibid., p. 81. Voici la traduction mot à mot des termes employés telle que nous la donne Strehlow : Dies du Körper bist ; dies du der nämliche. Dans un mythe, un héros civilisateur, Mangarkunjerkunja, présentant à chaque homme le churinga de son ancêtre, lui dit : « Tu es né de ce churinga » (ibid., p. 76).
  4. Strehlow, II, p. 76.