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embryon complet, fait à la fois d’une âme et d’un corps. Mais l’âme est toujours représentée sous des formes matérielles ; elle dort, danse, chasse, mange, etc. Elle comprend donc, elle aussi, un élément corporel. Inversement, le ratapa n’est pas visible du vulgaire ; nul ne le voit, quand il s’introduit dans le corps de la femme[1] ; c’est dire qu’il est fait d’une matière très comparable à celle de l’âme. Ainsi, sous ce rapport, il ne semble pas qu’il soit possible de les différencier nettement l’un de l’autre. Ce sont, en définitive, des êtres mythiques qui sont sensiblement conçus d’après le même modèle. Schulze les appelle des âmes d’enfants[2]. De plus, tout comme l’âme, le ratapa soutient, avec l’ancêtre dont l’arbre ou le rocher sacrés sont des formes matérialisées, les relations les plus étroites. Il est du même totem que cet ancêtre, de la même phratrie, de la même classe matrimoniale[3]. Sa place dans les cadres sociaux de la tribu est exactement celle que l’ancêtre est censé y avoir occupée autrefois. Il porte le même nom[4]. C’est la preuve que ces deux personnalités sont, pour le moins, très proches parentes l’une de l’autre.

Il y a plus ; cette parenté va jusqu’à une complète identité. C’est en effet, sur le corps mystique de l’ancêtre que le ratapa s’est formé ; il en vient ; il est comme une parcelle qui s’en serait détachée. C’est donc, en somme, quelque chose de l’ancêtre qui pénètre dans le sein de la mère et qui

  1. Il arrive parfois que l’ancêtre qui est censé avoir lancé le namatuna se montre à la femme sous les espèces d’un animal ou d’un homme ; c’est une preuve de plus de l’affinité de l’âme ancestrale pour une forme matérielle.
  2. Schulze, loc. cit., p. 237.
  3. C’est ce qui résulte de ce fait que le ratapa ne peut s’incarner que dans le corps d’une femme qui appartient à la même classe matrimoniale que la mère de l’ancêtre mythique. Aussi ne comprenons-nous pas comment Strehlow a pu dire (I, p. 42, Anmerkung) que, sauf dans un cas, les mythes n’affectent pas les ancêtres de l’Alcheringa à des classes matrimoniales déterminées. Sa propre théorie de la conception suppose tout le contraire (cf. II, p. 53 et suiv.).
  4. Strehlow, II, p. 58.