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velles ; dans une muraille de rochers, ils faisaient apparaître un lac ou s’ouvrir une gorge qui leur servirait de passage ; là où ils plantaient leur nurtunja, des rocs ou des arbres sortaient de terre[1]. » Ce sont eux qui ont donné au sol la forme qu’il a présentement. Ils ont créé toutes sortes d’êtres, hommes ou animaux. Ce sont presque les dieux. Leurs âmes ont donc également un caractère divin. Et puisque les âmes des hommes sont ces âmes ancestrales réincarnées dans des corps humains, elles sont elles-mêmes des êtres sacrés.

En second lieu, ces ancêtres n’étaient pas des hommes, au sens propre du mot, mais des animaux ou des végétaux, ou bien des êtres mixtes où l’élément animal ou végétal prédominait : « Les ancêtres qui vivaient dans ces temps fabuleux, disent Spencer et Gillen, étaient, suivant l’opinion des indigènes, si étroitement associés avec les animaux et les plantes dont ils portaient le nom qu’un personnage de l’Alcheringa qui appartient au totem du kangourou, par exemple, est souvent représenté dans les mythes comme un homme-kangourou ou un kangourou-homme. Sa personnalité humaine est souvent absorbée par celle de la plante ou de l’animal dont il est censé descendu[2]. » Leurs âmes, qui durent toujours, ont nécessairement la même nature ; en elles aussi se marient l’élément humain et l’élément animal, avec une certaine tendance du second à prédominer sur le premier. Elles sont donc faites de la même substance que le principe totémique ; car nous savons que ce dernier a précisément pour caractéristique de présenter ce double aspect, de synthétiser et de confondre en soi les deux règnes.

Puisqu’il n’existe pas d’autres âmes que celles-là, nous arrivons à cette conclusion que l’âme, d’une manière générale, n’est pas autre chose que le principe totémique,

  1. Nat. Tr., p. 512-513. Cf. chap. X et XI.
  2. Ibid., p. 119.