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L’homogénéité de la civilisation australienne suffirait, à elle seule, à justifier cette généralisation ; mais nous aurons soin de la confirmer ensuite au moyen de faits empruntés à d’autres peuples tant d’Australie que d’Amérique.

Comme les conceptions qui vont nous fournir la base de notre démonstration ont été rapportées en des termes différents par Spencer et Gillen, d’une part, et par Strehlow, de l’autre, nous devons exposer successivement ces deux versions. On verra que, bien interprétées, elles diffèrent dans la forme plus que dans le fond et qu’elles ont, en définitive, la même signification sociologique.

Suivant Spencer et Gillen, les âmes qui, à chaque génération, viennent animer le corps des nouveau-nés ne sont pas le produit de créations spéciales et originales ; toutes ces tribus admettraient qu’il existe un stock défini d’âmes, dont le nombre ne peut être accru d’une unité[1] et qui se réincarnent périodiquement. Quand un individu meurt, son âme quitte le corps où elle résidait, et une fois que le deuil est accompli, elle se rend au pays des âmes ; mais, au bout d’un certain temps, elle revient s’incarner à nouveau et ce sont ces réincarnations qui donnent lieu aux conceptions et aux naissances. Ces âmes fondamentales, ce sont celles qui, à l’origine même des choses, animaient les ancêtres, fondateurs du clan. À une époque, au-delà de laquelle l’imagination ne remonte pas et qui est considérée comme le premier commencement des temps, il existait des êtres qui ne dérivaient d’aucun autre. L’Arunta les appelle, pour cette raison, les Aljirangamitjina[2], les incréés, ceux qui sont de toute éternité, et, d’après Spencer et Gillen, il donnerait le nom d’Alcheringa[3] à la période ou ces êtres fabuleux sont censés avoir vécu. Organisés

  1. Elles peuvent se dédoubler provisoirement, comme nous verrons au chapitre suivant ; mais ces dédoublements n’ajoutent pas une unité au nombre des âmes susceptibles de se réincarner.
  2. Strehlow, I, p. 2.
  3. Nat. Tr., p. 73, n. 1.