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II

Telles sont, sous leur forme la plus primitive, et ramenées à leurs traits les plus essentiels, les croyances relatives à la nature de l’âme et à sa destinée. Il nous faut maintenant essayer d’en rendre compte. Qu’est-ce donc qui a pu amener l’homme à penser qu’il y avait en lui deux êtres, dont l’un possédait les caractères si spéciaux qui viennent d’être énumérés ? Pour répondre à cette question, commençons par rechercher quelle origine le primitif lui-même attribue au principe spirituel qu’il croit sentir en lui : bien analysée, sa propre conception nous mettra sur la voie de la solution.

Suivant la méthode que nous nous efforçons de pratiquer, nous étudierons les idées dont il s’agit dans un groupe déterminé de sociétés où elles ont été observées avec une précision toute particulière : ce sont les tribus du centre australien. L’aire de notre observation, quoique étendue, sera donc limitée. Mais il y a des raisons de croire que ces mêmes idées, sous des formes diverses, sont ou ont été d’une grande généralité, même en dehors de l’Australie. De plus et surtout, la notion d’âme n’est pas, dans ces tribus centrales, spécifiquement différente de ce qu’elle est dans les autres sociétés australiennes ; elle a partout les mêmes caractères essentiels. Comme un même effet a toujours une même cause, il y a lieu de penser que cette notion, partout identique à elle-même, ne résulte pas, ici et là, d’éléments différents. L’origine que nous serons amené à lui attribuer par l’étude des tribus dont il va être plus spécialement question, devra donc être considérée comme également vraie des autres. Les premières nous fourniront l’occasion de faire, en quelque sorte, une expérience dont les résultats, comme ceux de toute expérience bien faite, seront susceptibles d’être généralisés.