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de cohérence et de précision. C’est qu’il s’agit d’une notion très complexe, où entrent une multitude d’impressions mal analysées dont l’élaboration s’est poursuivie pendant des siècles, sans que les hommes en aient eu une claire conscience. Voici pourtant les caractères les plus essentiels, souvent contradictoires d’ailleurs, par lesquels elle se définit.

Dans un certain nombre de cas, on nous dit qu’elle a l’aspect extérieur du corps[1]. Mais il arrive aussi qu’on se la représente comme de la grosseur d’un grain de sable ; elle aurait des dimensions tellement réduites qu’elle pourrait passer par les moindres crevasses et les plus petites fissures[2]. Nous verrons qu’elle est, en même temps, conçue sous des espèces animales. C’est dire que la forme en est essentiellement inconsistante et indéterminée[3] ; elle se modifie d’un instant à l’autre au gré des circonstances, suivant les exigences du mythe et du rite. La substance dont elle est faite n’est pas moins indéfinissable. Elle n’est pas sans matière puisqu’elle a une forme, si vague soit-elle. Et en effet, même pendant cette vie, elle a des besoins physiques : elle mange et, inversement, elle peut être mangée. Il arrive qu’elle sorte du corps et, au cours de ses voyages, elle se repaît parfois d’âmes étrangères[4]. Une fois qu’elle est complètement affranchie de l’organisme, elle est censée mener une vie tout à fait analogue à celle qu’elle menait sur cette terre : elle boit, mange, chasse, etc.[5]. Quand elle volette dans les branches des arbres, elle détermine des

  1. Dawson, p. 51 ; Parker, The Euahlayi, p. 35 ; Eylmann, p. 188.
  2. North. Tr., p. 542 ; Schurmann, The Aboriginal Tribes of Port Lincoln, in Woods, p. 235.
  3. C’est l’expression employée par Dawson, p. 50.
  4. Strehlow, I, p. 15, n. 1 ; Schulze, loc. cit., p. 246. C’est le thème du mythe du vampire.
  5. Strehlow, I, p. 15 ; Schulze :, p. 244 ; Dawson, p. 51. Il est vrai qu’il est dit parfois des âmes qu’elles n’ont rien de corporel : d’après certains témoignages recueillis par Eylmann (p. 188), elles seraient ohne Fleisch und Blut. Mais ces négations radicales nous laissent sceptique. Le fait qu’on ne fait pas d’offrande aux âmes des morts n’implique nullement, comme le croit Roth (Superstition, Magic, etc., § 65) qu’elles ne mangent pas.