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ses caractères essentiels, si bien que l’œuvre des religions plus avancées et de la philosophie s’est à peu près bornée à l’épurer, sans y rien ajouter de vraiment fondamental. Toutes les sociétés australiennes admettent, en effet, que chaque corps humain abrite un être intérieur, principe de la vie qui l’anime : c’est l’âme. Il arrive, il est vrai, que les femmes font exception à la règle générale : il y a des tribus où elles passent pour n’avoir point d’âme[1]. S’il faut en croire Dawson, il en serait de même des enfants en bas âge dans les tribus qu’il a observées[2]. Mais ce sont là des cas exceptionnels, vraisemblablement tardifs[3]. ; le dernier paraît même suspect et pourrait bien être dû à une interprétation erronée des faits[4].

Il est malaisé de déterminer l’idée que l’Australien se fait de l’âme, tant elle est obscure et flottante, et l’on ne saurait s’en étonner. Si l’on demandait à nos contemporains, à ceux mêmes qui croient le plus fermement à l’existence de l’âme, de quelle manière ils se la représentent, les réponses que l’on obtiendrait n’auraient pas beaucoup plus

  1. C’est le cas des Gnanji ; v. North. Tr., p. 170, p. 546 ; cf. un cas semblable, in Brough Smyth, II, p. 269.
  2. Australian Aborigines, p. 51.
  3. Il y eut certainement chez les Gnanji un temps ou les femmes avaient une âme ; car il existe encore aujourd’hui un grand nombre d’âmes de femmes. Seulement, elles ne se réincarnent jamais ; et comme, chez ce peuple, l’âme qui anime un nouveau-né est une âme ancienne qui se réincarne, du fait que les âmes de femmes ne se réincarnent pas, il résulte que les femmes ne peuvent avoir d’âme. On peut, d’ailleurs, expliquer d’où vient cette absence de réincarnation. Chez les Gnanji, la filiation, après avoir été utérine, se fait aujourd’hui en ligne paternelle : la mère ne transmet pas son totem à l’enfant. La femme n’a donc jamais de descendants qui la perpétuent. ; elle est finis familia suæ. Pour expliquer cette situation, il n’y avait que deux hypothèses possibles : ou bien les femmes n’ont pas d’âme, ou bien les âmes de femmes sont détruites après la mort. Les Gnanji ont adopté la première de ces deux explications : certains peuples du Queensland ont préféré la seconde (v. Roth, Superstition, Magic and Medecine, in N. Queensland Ethnog., n° 5, § 68).
  4. « Les enfants au-dessous de quatre ou cinq ans n’ontt ni âme ni vie future », dit Dawson. Mais le fait que traduit ainsi Dawson, c’est tout simplement l’absence de rites funéraires pour les enfants en bas âge. Nous en verrons plus loin la signification véritable.