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diques, parce qu’elles reposent sur des observations plus sévèrement contrôlées, mais elles ne diffèrent pas en nature de celles qui satisfont la pensée primitive. Aujourd’hui comme autrefois, expliquer, c’est montrer comment une chose participe d’une ou de plusieurs autres. On a dit que les participations dont les mythologies postulent l’existence violent le principe de contradiction et que, par là, elles s’opposent à celles qu’impliquent les explications scientifiques[1]. Poser qu’un homme est un kangourou, que le Soleil est un oiseau, n’est-ce pas identifier le même et l’autre ? Mais nous ne pensons pas d’une autre manière quand nous disons de la chaleur qu’elle est un mouvement, de la lumière qu’elle est une vibration de l’éther, etc. Toutes les fois que nous unissons par un lien interne des termes hétérogènes, nous identifions forcément des contraires. Sans doute, les termes que nous unissons ainsi ne sont pas ceux que rapproche l’Australien ; nous les choisissons d’après d’autres critères et pour d’autres raisons ; mais la démarche même par laquelle l’esprit les met en rapports ne diffère pas essentiellement.

Il est vrai que, si la pensée primitive avait pour la contradiction l’espèce d’indifférence générale et systématique qu’on lui a prêtée[2], elle contrasterait, sur ce point, et d’une manière accusée, avec la pensée moderne, toujours soucieuse de rester d’accord avec elle-même. Mais nous ne croyons pas qu’il soit possible de caractériser la mentalité des sociétés inférieures par une sorte de penchant unilatéral et exclusif pour l’indistinction. Si le primitif confond des choses que nous distinguons, inversement, il en distingue d’autres que nous rapprochons et il conçoit même ces distinctions sous la forme d’oppositions violentes et tranchées. Entre deux êtres qui sont classés dans deux phratries différentes, il n’y a pas seulement séparation,

  1. Lévy-Bruhl, op. cit., p. 77 et suiv.
  2. Ibid., p. 79.