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dehors, ne saurait nous les faire découvrir ; l’esprit seul peut en créer la notion. Quand j’apprends que A précède régulièrement B, ma connaissance s’est enrichie d’un nouveau savoir ; mon intelligence n’est aucunement satisfaite par une constatation qui ne porte pas en elle sa raison. Je ne commence à comprendre que s’il m’est possible de concevoir B par un biais qui me le fasse apparaître comme n’étant pas étranger à A, comme uni à A par quelque rapport de parenté. Le grand service que les religions ont rendu à la pensée est d’avoir construit une première représentation de ce que pouvaient être ces rapports de parenté entre les choses. Dans les conditions où elle était tentée, l’entreprise ne pouvait évidemment aboutir qu’à des résultats précaires. Mais d’abord, en produit-elle jamais qui soient définitifs et n’est-il pas nécessaire de la reprendre sans cesse ? Et puis, ce qui importait, c’était moins de la réussir que de l’oser. L’essentiel était de ne pas laisser l’esprit asservi aux apparences sensibles, mais, au contraire, de lui apprendre à les dominer et à rapprocher ce que les sens séparent ; car du moment où l’homme eut le sentiment qu’il existe des connexions internes entre les choses, la science et la philosophie devenaient possibles. La religion leur a frayé la voie. Mais si elle a pu jouer ce rôle, c’est parce qu’elle est chose sociale. Pour faire la loi aux impressions des sens et leur substituer une manière nouvelle de se représenter le réel, il fallait qu’une pensée d’un genre nouveau se constituât : c’est la pensée collective. Si seule, elle pouvait avoir cette efficacité, c’est que, pour créer tout un monde d’idéaux à travers lequel le monde des réalités senties apparût transfiguré, il fallait une surexcitation des forces intellectuelles qui n’est possible que dans et par la société.

Il s’en faut donc que cette mentalité soit sans rapports avec la nôtre. Notre logique est née de cette logique. Les explications de la science contemporaine sont plus assurées d’être objectives, parce qu’elles sont plus métho-