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d’une autre espèce. Mais ces distinctions, qui nous semblent si naturelles, n’ont rien de primitif. À l’origine, tous les règnes sont confondus les uns dans les autres. Les rochers ont un sexe ; ils ont le pouvoir d’engendrer ; le Soleil, la Lune, les étoiles sont des hommes ou des femmes, qui éprouvent et qui expriment des sentiments humains, tandis que les hommes, au contraire, sont conçus comme des animaux ou des plantes. Cet état d’indistinction se retrouve à la base de toutes les mythologies. De là, le caractère ambigu des êtres que les mythes mettent en scène ; on ne peut les classer dans aucun genre défini, car ils participent à la fois des genres les plus opposés. Aussi admet-on sans peine qu’ils peuvent se transmuter les uns dans les autres ; et c’est par des transmutations de ce genre que les hommes, pendant longtemps, ont cru pouvoir expliquer la genèse des choses.

Que l’instinct anthropomorphique dont les animistes ont doté le primitif ne puisse rendre compte de cette mentalité, c’est ce que démontre la nature des confusions qui la caractérisent. Elles viennent, en effet, non de ce que l’homme a démesurément étendu le règne humain au point d’y faire rentrer tous les autres, mais de ce qu’il a mêlé les règnes les plus disparates. Il n’a pas plus conçu le monde à son image qu’il ne s’est conçu à l’image du monde : il a procédé de l’une et de l’autre manières à la fois. Dans l’idée qu’il se faisait des choses, il a fait, sans doute, entrer des éléments humains ; mais, dans l’idée qu’il se faisait de lui-même, il a fait entrer des éléments qui lui venaient des choses.

Cependant, il n’y avait rien dans l’expérience qui pût lui suggérer de ces rapprochements ou de ces mélanges. Au regard de l’observation sensible, tout est divers et discontinu. Nulle part, dans la réalité, nous ne voyons les êtres mêler leur nature et se métamorphoser les uns dans les autres. Il faut donc qu’une cause exceptionnellement puissante soit intervenue qui ait transfiguré le réel de