Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant qu’elles ne sont pas cultivées. D’ailleurs, l’animal est plus étroitement associé à la vie de l’homme que la plante, ne serait-ce qu’à cause de la parenté de nature qui unit entre eux ces deux êtres. Au contraire, le Soleil, la Lune, les astres étaient trop loin et faisaient l’effet de ressortir à un autre monde[1]. De plus, tant que les constellations n’étaient pas distinguées et classées, la voûte étoilée n’offrait pas une suffisante diversité de choses assez nettement différenciées pour pouvoir servir à désigner tous les clans et tous les sous-clans d’une tribu ; au contraire, la variété de la flore et surtout de la faune était presque inépuisable. Pour ces raisons, les corps célestes, en dépit de leur éclat, de la vive impression qu’ils font sur les sens, étaient impropres au rôle de totems pour lequel, au contraire, animaux et végétaux étaient tout désignés.

Une observation de Strehlow permet même de préciser la manière dont furent vraisemblablement choisis ces emblèmes. Strehlow dit avoir remarqué que les centres totémiques sont le plus souvent situés à proximité d’une montagne, d’une source, d’une gorge ou les animaux qui servent de totem au groupe se rencontrent en abondance, et il cite de ce fait un certain nombre d’exemples[2]. Or ces centres totémiques sont certainement les lieux consacrés où le clan tenait ses assises. Il semble donc bien que chaque groupe ait pris pour insigne l’animal ou le végétal qui était le plus répandu dans le voisinage de l’endroit où il avait l’habitude de s’assembler[3].

  1. Les astres sont souvent considérés, même par les Australiens, comme le pays des âmes ou des personnages mythiques, ainsi que nous l’établirons dans le chapitre suivant : c’est dire qu’ils passent pour constituer un monde très différent de celui des vivants.
  2. Op. cit., I, p. 4. Cf. dans le même sens Schulze, loc. cit., p. 243.
  3. Bien entendu, comme nous avons eu déjà l’occasion de le montrer (v. supra, p. 221), ce choix ne se fit pas sans une entente plus ou moins concertée entre les différents groupes puisque chacun d’eux dut adopter un emblème diffèrent de celui des voisins.