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ou là, sur tel point plutôt sur un tel autre. Le caractère sacré que revêt une chose n’est donc pas impliqué dans les propriétés intrinsèques de celle-ci : il y est surajouté. Le monde du religieux n’est pas un aspect particulier de la nature empirique ; il y est superposé.

Cette conception du religieux permet enfin d’expliquer un important principe que nous trouvons à la base d’une multitude de mythes et de rites et qui peut s’énoncer ainsi : quand un être sacré se subdivise, il reste tout entier égal à lui-même dans chacune de ses parties. En d’autres termes, au regard de la pensée religieuse, la partie vaut le tout ; elle a les mêmes pouvoirs, la même efficacité. Un débris de relique a les mêmes vertus que la relique intégrale. La moindre goutte de sang contient le même principe actif que le sang tout entier. L’âme, comme nous le verrons, peut se fragmenter presque en autant de parties qu’il y a d’organes ou de tissus dans l’organisme ; chacune de ces âmes partielles équivaut à l’âme totale. Cette conception serait inexplicable si le caractère sacré tenait aux propriétés constitutives de la chose qui lui sert de substrat ; car alors il devrait varier comme cette chose, croître et décroître avec elle. Mais si les vertus qu’elle est censée posséder ne lui sont pas intrinsèques, si elles lui viennent de certains sentiments qu’elle rappelle et qu’elle symbolise bien qu’ils aient leur origine en dehors d’elle, comme, pour remplir ce rôle évocateur, elle n’a pas besoin d’avoir des dimensions déterminées, elle aura la même valeur, qu’elle soit entière ou non. Comme la partie rappelle le tout, elle évoque aussi les sentiments que le tout rappelle. Un simple fragment du drapeau représente la patrie comme le drapeau lui-même : aussi est-il sacré au même titre et au même degré[1].

  1. Le principe est passé de la religion dans la magie : c’est le totum ex parte des alchimistes.