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port, elle n’est guère qu’un tissu d’erreurs. Mais elle est avant tout, un système de notions au moyen desquelles les individus se représentent la société dont ils sont membres, et les rapports, obscurs mais intimes, qu’ils soutiennent avec elle. Tel est son rôle primordial ; et, pour être métaphorique et symbolique, cette représentation n’est pourtant pas infidèle. Elle traduit, au contraire, tout ce qu’il y a d’essentiel dans les relations qu’il s’agit d’exprimer : car il est vrai d’une vérité éternelle qu’il existe en dehors de nous quelque chose de plus grand que nous, et avec quoi nous communiquons.

C’est pourquoi on peut être assuré par avance que les pratiques du culte, quelles qu’elles puissent être, sont autre chose que des mouvements sans portée et des gestes sans efficacité. Par cela seul qu’elles ont pour fonction apparente de resserrer les liens qui attachent le fidèle à son dieu, du même coup elles resserrent réellement les liens qui unissent l’individu à la société dont il est membre, puisque le dieu n’est que l’expression figurée de la société. On conçoit même que la vérité fondamentale que contenait ainsi la religion ait pu suffire à compenser les erreurs secondaires qu’elle impliquait presque nécessairement, et que, par suite, les fidèles aient été empêchés de s’en détacher, malgré les mécomptes qui devaient résulter de ces erreurs. Sans doute, il a dû arriver le plus souvent que les recettes qu’elle recommandait à l’homme d’employer pour agir sur les choses se sont trouvées inefficaces. Mais ces échecs ne pouvaient avoir d’influence profonde parce qu’ils n’atteignaient pas la religion dans ses principes[1].

On objectera cependant que, même dans cette hypothèse, la religion reste le produit d’un certain délire. Quel autre nom, en effet, peut-on donner à l’éclat dans lequel se trouvent les hommes quand, par suite d’une effervescence col-

  1. Nous nous bornons provisoirement à cette indication générale ; nous reviendrons sur l’idée et nous en ferons plus explicitement la preuve quand nous traiterons des rites (liv. III).