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industrielles), sont, directement ou indirectement, dérivées de la religion[1].

IV

On a souvent attribué les premières conceptions religieuses à un sentiment de faiblesse et de dépendance, de crainte et d’angoisse qui aurait saisi l’homme quand il entra en rapports avec le monde. Victime d’une sorte de cauchemar dont il aurait été lui-même l’artisan, il se serait cru entouré de puissances hostiles et redoutables que les rites auraient eu pour objet d’apaiser. Nous venons de montrer que les premières religions ont une tout autre origine. La fameuse formule Primus in orbe deos fecit timor n’est nullement justifiée par les faits. Le primitif n’a pas vu dans ses dieux des étrangers, des ennemis, des êtres foncièrement et nécessairement malfaisants dont il était obligé de se concilier à tout prix les faveurs, tout au contraire, ce sont plutôt pour lui des amis, des parents, des protecteurs naturels. Ne sont-ce pas là les noms qu’il donne aux êtres de l’espèce totémique ? La puissance à laquelle s’adresse le culte, il ne se la représente pas planant très haut au-dessus de lui et l’écrasant de sa supériorité : elle est, au contraire, tout près de lui et elle lui confère des pouvoirs utiles qu’il ne tient pas de sa nature. Jamais, peut-être, la divinité n’a été plus proche de l’homme qu’à ce moment de l’histoire puisqu’elle est présente dans les choses qui peuplent son milieu immédiat et qu’elle lui est, en partie, immanente à lui-même. Ce qui est à la racine du totémisme, ce sont, en définitive, des sentiments de

  1. Nous disons de cette dérivation qu’elle est parfois indirecte, à cause des techniques industrielles qui, dans le plus grand nombre de cas, semblent bien n’être dérivées de la religion que par l’intermédiaire de la mage (voir Hubert et Mauss, Théorie générale de la magie, Année sociol., VII, p. 144 et suiv.) ; car les forces magiques ne sont, croyons-nous, qu’une forme particulière des forces religieuses. Nous aurons plusieurs fois à revenir sur ce point.