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ou de prévenir ; par suite, c’est tout spécialement à lui que s’adressent les rites. Ainsi s’explique que, dans la série des choses sacrées, il occupe le premier rang.

Mais le clan, comme toute espèce de société, ne peut vivre que dans et par les consciences individuelles qui le composent. Si donc, en tant qu’elle est conçue comme incorporée à l’emblème totémique, la force religieuse apparaît comme extérieure aux individus et comme douée, par rapport à eux, d’une sorte de transcendance, d’un autre côté, comme le clan dont elle est le symbole, elle ne peut se réaliser qu’en eux et par eux ; en ce sens, elle leur est donc immanente et ils se la représentent nécessairement comme telle. Ils la sentent présente et agissante en eux, puisque c’est elle qui les élève à une vie supérieure. Voilà comment l’homme a cru qu’il y avait en lui un principe comparable à celui qui réside dans le totem ; comment, par suite, il s’est attribué un caractère sacré, mais moins marqué que celui de l’emblème. C’est que l’emblème est la source éminente de la vie religieuse ; l’homme n’y participe qu’indirectement et il en a conscience ; il se rend compte que la force qui le transporte dans le cercle des choses sacrées ne lui est pas inhérente, mais lui vient du dehors.

Pour une autre raison, les animaux ou les végétaux de l’espèce totémique devaient avoir le même caractère, et même à un plus haut degré. Car si le principe totémique n’est rien autre chose que le clan, c’est le clan pensé sous une forme matérielle que l’emblème figure ; or cette forme est aussi celle de ces êtres concrets dont le clan porte le nom. En raison de cette ressemblance, ils ne pouvaient pas ne pas éveiller des sentiments analogues à ceux que suscite l’emblème lui-même. Puisque ce dernier est l’objet d’un respect religieux, ils devaient inspirer un respect du même genre et apparaître comme sacrés. Sous des formes extérieures aussi parfaitement identiques, il était impossible que le fidèle ne mît pas des forces de même nature. Voilà comment il est interdit de tuer, de manger l’animal