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toutes parts, que gestes violents, que cris, véritables hurlements, bruits assourdissants de toute sorte qui contribuent encore à intensifier l’état qu’ils manifestent. Sans doute, parce qu’un sentiment collectif ne peut s’exprimer collectivement qu’à condition d’observer un certain ordre qui permette le concert et les mouvements d’ensemble, ces gestes et ces cris tendent d’eux-mêmes à se rythmer et à se régulariser ; de là, les chants et les danses. Mais, en prenant une forme plus régulière, ils ne perdent rien de leur violence naturelle ; le tumulte réglé reste du tumulte. La voix humaine ne suffit même pas à la tâche ; on en renforce l’action au moyen de procédés artificiels : on frappe les boomerangs les uns contre les autres ; on fait tourner les bull-roarers. Il est probable que ces instruments, dont l’emploi est si général dans les cérémonies religieuses d’Australie, ont, avant tout, servi à traduire d’une manière plus adéquate l’agitation ressentie. Mais en même temps qu’ils la traduisent, ils la renforcent. L’effervescence devient souvent telle qu’elle entraîne à des actes inouïs. Les passions déchaînées sont d’une telle impétuosité qu’elles ne se laissent contenir par rien. On est tellement en dehors des conditions ordinaires de la vie et on en a si bien conscience qu’on éprouve comme le besoin de se mettre en dehors et au-dessus de la morale ordinaire. Les sexes s’accouplent contrairement aux règles qui président au commerce sexuel. Les hommes échangent leurs femmes. Parfois même, des unions incestueuses qui, en temps normal, sont jugées abominables et sont sévèrement condamnées, se contractent ostensiblement et impunémentV. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 96-97, North. Tr., p. 137 ; Brough Smyth, II, p. 319. — Cette promiscuité rituelle s’observe notamment dans les cérémonies d’initiation (Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 267, 381 ; Howitt, Nat. Tr., p. 657), dans les cérémonies totémiques (Spencer et Gillen, North. Tr., p. 214, 237 et 298). Dans ces dernières, les règles exogamiques ordinaires sont violées. Toutefois, chez les Arunta, les unions entre père et fille, fils et mère, frères et sœurs (il s’agit dans tous ces cas de parenté par le sang) restent interdites (Nat. Tr., p. 96~97).. Si l’on ajoute à cela que ces cérémonies ont géné-