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Mais cette première explication est trop générale, puisqu’elle s’applique indifféremment à toute espèce de société et, par suite, de religion. Cherchons donc à préciser quelle forme particulière cette action collective prend dans le clan, et comment elle y suscite la sensation du sacré. Aussi bien n’est-elle nulle part plus facilement observable ni plus apparente dans ses résultats.

III

La vie des sociétés australiennes passe alternativement par deux phases différentes[1]. Tantôt la population est dispersée par petits groupes qui vaquent, indépendamment les uns des autres, à leurs occupations ; chaque famille vit alors de son côté, chassant, pêchant, cherchant, en un mot, à se procurer la nourriture indispensable par tous les moyens dont elle dispose. Tantôt, au contraire, la population se concentre et se condense, pour un temps qui varie de plusieurs jours à plusieurs mois, sur des points déterminés. Cette concentration a eu lieu quand un clan ou une portion de tribu[2] est convoqué dans ses assises et que, à cette occasion, on célèbre une cérémonie religieuse ou qu’on tient ce qu’on appelle, dans le langage usuel de l’ethnographie, un corrobori[3].

Ces deux phases contrastent l’une avec l’autre de la

  1. V. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 33.
  2. Il est même des cérémonies, notamment celles qui ont lieu à propos de l’initiation, où des membres de tribus étrangères sont convoqués. Tout un système de messages et de messagers est organisé en vue de ces convocations sans lesquelles il n’y a pas de grandes solennités (v. Howitt, Notes on Australian Message-Sticks and Messengers, in J.A.I., 1889 ; Nat, Tr., p. 83, 678-691 ; Spencer et Gillen, Nat. Tr.
  3. Le corrobbori se distingue de la cérémonie proprement religieuse en ce qu’il est accessible aux femmes et aux non-initiés. Mais, si ces deux sortes de manifestations collectives doivent être distinguées, elles ne laissent pas d’être étroitement parentes. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de revenir plus loin sur cette parenté et de l’expliquer.