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le symbole du dieu et de la société, n’est-ce pas que le dieu et la société ne font qu’un ? Comment l’emblème du groupe aurait-il pu devenir la figure de cette quasi-divinité, si le groupe et la divinité étaient deux réalités distinctes ? Le dieu du clan, le principe totémique, ne peut donc être autre chose que le clan lui-même, mais hypostasié et représenté aux imaginations sous les espèces sensibles du végétal ou de l’animal qui sert de totem.

Mais comment cette apothéose a-t-elle été possible, et d’où vient qu’elle ait eu lieu de cette façon ?

II

D’une manière générale, il n’est pas douteux qu’une société a tout ce qu’il faut pour éveiller dans les esprits, par la seule action qu’elle exerce sur eux, la sensation du divin ; car elle est à ses membres ce qu’un dieu est à ses fidèles. Un dieu, en effet, c’est d’abord un être que l’homme se représente, par certains côtés, comme supérieur à soi-même et dont il croit dépendre. Qu’il s’agisse d’une personnalité consciente, comme Zeus ou Jahveh, ou bien de forces abstraites comme celles qui sont en jeu dans le totémisme, le fidèle, dans un cas comme dans l’autre, se croit tenu à de certaines manières d’agir qui lui sont imposées par la nature du principe sacré avec lequel il se sent en commerce. Or la société, elle aussi, entretient en nous la sensation d’une perpétuelle dépendance. Parce qu’elle a une nature qui lui est propre, différente de notre nature d’individu, elle poursuit des fins qui lui sont également spéciales : mais, comme elle ne peut les atteindre que par notre intermédiaire, elle réclame impérieusement notre concours. Elle exige que, oublieux de nos intérêts, nous nous fassions ses serviteurs et elle nous astreint à toute sorte de gênes, de privations et de sacrifices sans lesquels la vie sociale serait impossible. C’est ainsi qu’à chaque instant