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astres, des grands phénomènes atmosphériques qui ont, au contraire, tout ce qu’il faut pour frapper vivement les imaginations ; mais il se trouve justement qu’ils ne servent que très exceptionnellement de totems ; il est même probable qu’ils n’ont été appelés à remplir cet office que tardivement[1]. Ce n’est donc pas la nature intrinsèque de la chose dont le clan portait le nom qui la désignait pour devenir l’objet d’un culte. D’ailleurs, si les sentiments qu’elle inspire étaient réellement la cause déterminante des rites et des croyances totémiques, c’est elle aussi qui serait l’être sacré par excellence ; ce sont les animaux ou les plantes employés comme totems qui joueraient le rôle éminent dans la vie religieuse. Or nous savons que le centre du culte est ailleurs. Ce sont les représentations figuratives de cette plante ou de cet animal, ce sont les emblèmes et les symboles totémiques de toute sorte qui possèdent le maximum de sainteté ; c’est donc en eux que se trouve la source de la religiosité dont les objets réels que ces emblèmes représentent ne reçoivent qu’un reflet.

Ainsi, le totem est avant tout un symbole, une expression matérielle de quelque autre chose[2]. Mais de quoi ? De l’analyse même à laquelle nous avons procédé, il ressort qu’il exprime et symbolise deux sortes de choses différentes. D’une part, il est la forme extérieure et sensible de ce que nous avons appelé le principe ou le dieu totémique. Mais d’un autre côté, il est aussi le symbole de cette société déterminée qu’on appelle le clan. C’en est le drapeau ; c’est le signe par lequel chaque clan se distingue des autres, la marque visible de sa personnalité, marque que porte tout ce qui fait partie du clan à un titre quelconque, hommes, bêtes et choses. Si donc il est, à la fois,

  1. Voir plus haut, p. 145.
  2. Pikler, dans l’opuscule cité plus haut, avait déjà exprimé, d’une manière un peu dialectique, le sentiment que c’est là ce qui constitue essentiellement le totem.