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en est de même de la divinité. Le Soleil, si éclatant et si magnifique, est un endroit où elle s’est arrêtée. Les arbres, les animaux en sont d’autres. L’Indien pense à ces endroits et y envoie ses prières afin qu’elles atteignent la place où le dieu a stationné et qu’elles obtiennent assistance et bénédiction[1]. » Autrement dit, le wakan (car c’est de lui qu’il s’agit) va, vient à travers le monde, et les choses sacrées sont les points où il s’est posé. Nous voilà, cette fois, bien loin du naturisme comme de l’animisme. Si le Soleil, la Lune, les étoiles ont été adorés, ils n’ont pas dû cet honneur à leur nature intrinsèque, à leurs propriétés distinctives, mais à ce qu’ils ont été conçus comme participant de cette force qui, seule, confère aux choses leur caractère sacré, et qui se retrouve dans une multitude d’autres êtres, voire même les plus infimes. Si les âmes des morts ont été l’objet de rites, ce n’est pas parce qu’elles passent pour être faites d’une sorte de substance fluide et impalpable ; ce n’est pas parce qu’elles ressemblent à l’ombre projetée par un corps ou à son reflet sur la surface des eaux. La légèreté, la fluidité ne suffisent pas à conférer la sainteté ; mais elles n’ont été investies de cette dignité que dans la mesure où il y avait en elles quelque chose de cette même force, source toute de religiosité.

On peut mieux comprendre maintenant pourquoi il nous a été impossible de définir la religion par l’idée de personnalités mythiques, dieux ou esprits ; c’est que cette manière de se représenter les choses religieuses n’est nullement inhérente à leur nature. Ce que nous trouvons à l’origine et à la base de la pensée religieuse, ce ne sont pas des objets ou des êtres déterminés et distincts qui possèdent par eux-mêmes un caractère sacré ; mais ce sont des pouvoirs indéfinis, des forces anonymes, plus ou moins nombreuses selon les sociétés, parfois même ramenées à l’unité,

  1. Rep. Peabody Museum, III, p.276, note (cité par Norsey, XIth Rep., p. 435).