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essentiellement protéimorphe, qui change d’attributs et de fonctions selon les circonstances »[1]. Et les dieux ne sont pas les seuls êtres qu’il anime : il est le principe de tout ce qui vit, de tout ce qui agit, de tout ce qui se ment. « Toute vie est wakan. Et il en est ainsi de tout ce qui manifeste quelque pouvoir, que ce soit sous forme d’action positive, comme les vents et les nuages qui s’amoncellent, ou de résistance passive, comme le rocher sur le bord du chemin[2]. »

Chez les Iroquois, dont l’organisation sociale a un caractère totémique encore plus prononcé, on retrouve la même notion : le mot d’orenda qui sert à l’exprimer est l’équivalent exact du wakan des Sioux. « C’est une puissance mystique, dit Howitt, que le sauvage conçoit comme inhérente à tous les corps qui composent le milieu où il vit…, aux rochers, aux cours d’eau, aux plantes et aux arbres, aux animaux et à l’homme, aux vents et aux tempêtes, aux nuages, au tonnerre, aux éclairs, etc.[3]. » Cette puissance est « regardée par l’esprit rudimentaire de l’homme comme la cause efficiente de tous les phénomènes, de toutes les activités qui se manifestent autour de lui »[4]. Un sorcier, un shamane a de l’orenda, mais on en dira autant d’un homme qui réussit dans ses entreprises. Au fond, il n’est rien dans le monde qui n’ait sa part d’orenda ; seulement les parts sont inégales. Il y a êtres, hommes ou choses, qui sont avantagés, d’autres qui sont relativement déshérités, et la vie universelle consiste dans les luttes de ces orenda d’inégale intensité. Les plus intenses se subordonnent les plus faibles. Un homme l’emporte-t-il sur ses concurrents à la chasse ou à la guerre ? C’est qu’il a plus d’orenda. Si un animal échappe au chasseur qui le poursuit, c’est que l’orenda du premier dépasse celui du second.

  1. XIth Rep., p. 431, § 92.
  2. Ibid., p. 433, § 95.
  3. Orenda and a Definition of Religion, in American Anthropologist, 1902, p. 33.
  4. Ibid., p. 36.