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Mais l’une et l’autre solution soulèvent de graves difficultés.

Adopte-t-on la thèse empiriste ? Alors, il faut retirer aux catégories toutes leurs propriétés caractéristiques. Elles se distinguent, en effet, de toutes les autres connaissances par leur universalité et leur nécessité. Elles sont les concepts les plus généraux qui soient puisqu’elles s’appliquent à tout le réel, et, de même qu’elles ne sont attachées à aucun objet particulier, elles sont indépendantes de tout sujet individuel : elles sont le lieu commun où se rencontrent tous les esprits. De plus, ils s’y rencontrent nécessairement ; car la raison, qui n’est autre chose que l’ensemble des catégories fondamentales, est investie d’une autorité à laquelle nous ne pouvons nous dérober à volonté. Quand nous essayons de nous insurger contre elle, de nous affranchir de quelques-unes de ces notions essentielles, nous nous heurtons à de vives résistances. Non seulement donc elles ne dépendent pas de nous, mais elles s’imposent à nous. — Or les données empiriques présentent des caractères diamétralement opposés. Une sensation, une image se rapportent toujours à un objet déterminé ou à une collection d’objets de ce genre et elle exprime l’état momentané d’une conscience particulière : elle est essentiellement individuelle et subjective. Aussi pouvons-nous disposer, avec une liberté relative, des représentations qui ont cette origine. Sans doute, quand nos sensations sont actuelles, elles s’imposent à nous en fait. Mais, en droit, nous restons maîtres de les concevoir autrement qu’elles ne sont, de nous les représenter comme se déroulant dans un ordre différent de celui où elles se sont produites. Vis-à-vis d’elles, rien ne nous lie, tant que des considérations d’un autre genre n’interviennent pas. Voilà donc deux sortes de connaissances qui sont comme aux deux pôles contraires de l’intelligence. Dans ces conditions, ramener la raison à l’expérience, c’est la faire évanouir car c’est réduire l’universalité et la nécessité qui la caractérisent à n’être que de pures apparences, des illusions