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ce qui en dérive. Tant que ces deux questions ne sont pas résolues, rien n’est expliqué.

V

Nous avons passé en revue les principales explications qui ont été données des croyances totémiques[1] en nous efforçant de laisser à chacune d’elles son individualité. Mais, maintenant que cet examen est terminé, nous pouvons constater qu’une critique commune s’adresse indistinctement à tous ces systèmes.

Si l’on s’en tient à la lettre des formules, ils semblent se ranger en deux catégories. Les uns (Frazer, Lang) nient le caractère religieux du totémisme ; ce qui revient, d’ailleurs, à nier les faits. D’autres le reconnaissent, mais croient pouvoir l’expliquer en le dérivant d’une religion antérieure dont le totémisme serait issu. En réalité, cette distinction n’est qu’apparente : la première catégorie rentre dans la seconde. Ni Frazer ni Lang n’ont pu maintenir leur principe jusqu’au bout et expliquer le totémisme comme s’il n’était pas une religion. Par la force des choses, ils ont été obligés de glisser dans leurs explications des notions de nature religieuse. Nous venons de voir comment Lang a dû faire intervenir l’idée de sacré, c’est-à-dire l’idée cardinale de toute religion. Frazer, de son côté, dans l’une comme dans l’autre des théories qu’il a successivement proposées, fait ouvertement appel à l’idée d’âme ou d’esprit ; car, suivant lui, le totémisme viendrait ou de ce que les hommes ont cru pouvoir mettre leur âme en sûreté dans un objet extérieur ou de ce qu’ils ont attribué le fait de la conception à une sorte de fécondation spirituelle

  1. Nous n’avons pourtant pas parlé de la théorie de Spencer. Mais c’est qu’elle n’est qu’un cas particulier de la théorie générale par laquelle il explique la transformation du culte des morts en culte de la nature. Comme nous l’avons exposée déjà, nous n’aurions pu que nous répéter.