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les plus contradictoires, qui sont à la fois uns et plusieurs, matériels et spirituels, qui peuvent se subdiviser indéfiniment sans rien perdre de ce qui les constitue ; c’est, en mythologie, un axiome que la partie vaut le tout. Ces variations par lesquelles a passé dans l’histoire la règle qui semble gouverner notre logique actuelle prouvent que, loin d’être inscrite de toute éternité dans la constitution mentale de l’homme, elle dépend, au moins en partie, de facteurs historiques, par conséquent sociaux. Nous ne savons pas exactement quels ils sont ; mais nous pouvons présumer qu’ils existent[1]

Cette hypothèse une fois admise, le problème de la connaissance se pose dans des termes nouveaux.

Jusqu’à présent, deux doctrines seulement étaient en présence. Pour les uns, les catégories ne peuvent être dérivées de l’expérience : elles lui sont logiquement antérieures et la conditionnent. On se les représente comme autant de données simples, irréductibles, immanentes à l’esprit humain en vertu de sa constitution native. C’est pourquoi on dit d’elles qu’elles sont a priori. Pour les autres, au contraire, elles seraient construites, faites de pièces et de morceaux, et c’est l’individu qui serait l’ouvrier de cette construction[2].

  1. Cette hypothèse avait été déjà émise par les fondateurs de la Völkerpsychologie. On la trouve notamment indiquée dans un court article de Windelband intitulé Die Erkennmisslehre unter dem völkerpsychologischen Gesichtspunkte, in Zeitsch. f. Völkerpsychologie, VIII, p. 166 et suiv. Cf. une note de Steinthal. sur le même sujet, ibid., p. 178 et suiv.
  2. Même dans la théorie de Spencer, c’est avec l’expérience individuelle que sont construites les catégories. La seule différence qu’il y ait, sous ce rapport, entre l’empirisme ordinaire et l’empirisme évolutionniste, c’est que, suivant ce dernier, les résultats de l’expérience individuelle sont consolidés par l’hérédité. Mais cette consolidation ne leur ajoute rien d’essentiel ; il n’entre dans leur composition aucun élément qui n’ait son origine dans l’expérience de l’individu. Aussi, dans cette théorie, la nécessité avec laquelle les catégories s’imposent actuellement à nous est-elle le produit d’une illusion, d’un préjugé superstitieux, fortement enraciné dans l’organisme, mais sans fondement dans la nature des choses.