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nement très répandue de la transmigration des âmes qui aurait servi de transitions entre ces deux systèmes religieux. Un grand nombre de peuples croient que l’âme, après la mort, ne reste pas éternellement désincarnée, mais vient animer à nouveau quelque corps vivant ; d’autre part, « comme la psychologie des races inférieures n’établit aucune ligne de démarcation bien définie entre l’âme des hommes et l’âme des bêtes, elle admet sans grande difficulté la transmigration de l’âme humaine dans le corps des animaux »[1]. Tylor en cite un certain nombre de cas[2]. Dans ces conditions, le respect religieux qu’inspire l’ancêtre se reporte tout naturellement sur la bête ou sur la plante avec laquelle il est désormais confondu. L’animal qui sert ainsi de réceptacle à un être vénéré devient, pour tous les descendants de l’ancêtre, c’est-à-dire pour le clan qui en est issu, une chose sainte, objet d’un culte, en un mot un totem.

Des faits signalés par Wilken dans les sociétés de l’archipel malais tendraient à prouver que c’est bien ainsi que les croyances totémiques y ont pris naissance. À Java, à Sumatra, les crocodiles sont particulièrement honorés ; on voit en eux de bienveillants protecteurs qu’il est interdit de tuer ; on leur fait des offrandes. Or le culte qui leur est aussi rendu vient de ce qu’ils passent pour incarner des âmes d’ancêtres. Les Malais des Philippines considèrent le crocodile comme leur grand-père ; le tigre est traité de la même manière et pour les mêmes raisons. Des croyances analogues ont été observées chez les Bantous[3]. En Mélanésie, il arrive parfois qu’un homme influent, au moment de mourir, annonce sa volonté de se réincarner dans tel animal ou telle plante ; on s’explique que l’objet

  1. Tylor, Civilisation primitive, II, p. 8.
  2. Tylor, ibid., p. 8-21.
  3. G. McCall Theal, Records of South-Eastern Africa, VII. Nous ne connaissons ce travail que par un article de Frazer, South African Totemism, paru dans Man, 1901, n° 111.