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individu : il est généralement héréditaire ; en tout cas, c’est la naissance qui le désigne sans que la volonté des hommes y soit pour rien. Tantôt l’enfant a le totem de sa mère (Kamilaroi, Dieri, Urabunna, etc.) ; tantôt celui de son père (Narrinyeri, Warramunga, etc.) ; tantôt enfin celui qui prédomine à l’endroit où sa mère a conçu (Arunta, Loritja). Au contraire, le totem individuel est acquis par un acte délibéré[1] : toute une série d’opérations rituelles est nécessaire pour le déterminer. La méthode la plus généralement employée chez les Indiens d’Amérique est la suivante. Vers l’époque de la puberté, quand approche le moment de l’initiation, le jeune homme se retire dans un endroit écarté, par exemple dans une forêt. Là, pendant une période de temps qui varie de quelques jours à plusieurs années, il se soumet à toute sorte d’exercices épuisants et contre nature. Il jeûne, il se mortifie, il s’inflige diverses mutilations. Tantôt il erre en poussant des cris violents, de véritables hurlements ; tantôt il reste étendu sur le sol, immobile et se lamentant. Parfois il danse, il prie, il invoque ses divinités ordinaires. Il finit ainsi par se mettre dans un état d’intense surexcitation tout proche du délire. Quand il est parvenu à ce paroxysme, ses représentations prennent facilement un caractère hallucinatoire. « Quand, dit Heckewelder, un garçon est à la veille d’être initié, il est soumis à un régime alternatif de jeûne et de traitement médi-

  1. Cependant, d’après un passage de Mathews, chez les Wotjobaluk, le totem individuel serait héréditaire. « Chaque individu, dit-il, réclame un animal, une plante ou un objet inanimé comme son totem spécial et personnel, qu’il hérite de sa mère » (J. and Proc. of the R. Society of N. S. Wales, XXXVIII, p. 291). Mais il est évident que, si tous les enfants d’une même famille avaient pour totem personnel celui de leur mère, ni eux ni leur mère n’auraient, en réalité, de totems personnels. Mathews veut probablement dire que chaque individu choisit son totem individuel dans un cercle de choses affectées au clan de la mère. Nous verrons, en effet, que chaque clan a ses totems individuels qui sont sa propriété exclusive, les membres des autres clans ne peuvent en disposer. En ce sens, la naissance détermine dans une certaine mesure, mais dans cette mesure seulement, le totem personnel.