Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croire que l’expression n’ait ici qu’un sens métaphorique : ce sont bien réellement des rapports de subordination et de coordination qu’une classification a pour objet d’établir et l’homme n’aurait même pas pensé à ordonner ses connaissances de cette manière, s’il n’avait su, au préalable, ce que c’est qu’une hiérarchie. Or, ni le spectacle de la nature physique, ni le mécanisme des associations mentales ne sauraient nous en fournir l’idée. La hiérarchie est exclusivement une chose sociale. C’est seulement dans la société qu’il existe des supérieurs, des inférieurs, des égaux. Par conséquent, alors même que les faits ne seraient pas à ce point démonstratifs, la seule analyse de ces notions suffirait à révéler leur origine. C’est à la société que nous les avons empruntées pour les projeter ensuite dans notre représentation du monde. C’est la société qui a fourni le canevas sur lequel a travaillé la pensée logique.

III

Mais ces classifications primitives intéressent, non moins directement, la genèse de la pensée religieuse. Elles impliquent, en effet, que toutes les choses ainsi classées dans un même clan ou dans une même phratrie sont étroitement parentes et les unes des autres et de celle qui sert de totem à cette phratrie ou à ce clan. Quand l’Australien de la tribu de Port-Mackay dit du Soleil, des serpents, etc., qu›ils sont de la phratrie Yungaroe, il n’entend pas simplement appliquer à tous ces êtres disparates une étiquette commune, mais purement conventionnelle ; le mot a pour lui une signification objective. Il croit que, réellement, « les alligators sont Yungaroe, et que les kangourous sont Wootaroe. Le Soleil est Yungaroe, la Lune Wootaroe et ainsi de suite pour les constellations, les arbres, les plantes, etc. »[1]. Un lien interne les attache au

  1. Bridgmann, in Brough Smyth, The Aborigines of Victoria, I, p. 91.