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Semence de l’herbage (grass seed), cueille quelques-unes de ces graines, il doit, avant d’en manger, aller trouver le chef et lui dire : «  J’ai cueilli ces grains dans votre pays. » À quoi le chef répond : « C’est bien ; vous pouvez les manger. » Mais si l’homme de l’Émou en mangeait avant d’avoir demandé l’autorisation, on croit qu’il tomberait malade et courrait le risque de mourir[1]. Il y a même des cas où le chef du groupe doit prélever une petite part de l’aliment et la manger lui-même : c’est une sorte de redevance qu’on est tenu d’acquitter[2]. Pour la même raison, le churinga communique au chasseur un certain pouvoir sur l’animal correspondant : par exemple, on a plus de chances de prendre des euros[3]. C’est la preuve que le fait de participer à la nature d’un être totémique confère sur ce dernier une sorte de droit éminent. Enfin, il y a, dans le Queensland septentrional, une tribu, les Karingbool, où les gens du totem ont seuls le droit de tuer l’animal totémique ou, si le totem est un arbre, de le dépouiller de son écorce. Leur concours est indispensable à tout étranger qui veut utiliser pour des fins personnelles la chair de cet animal ou le bois de cet arbre[4]. Ils jouent donc le rôle de propriétaires, bien qu’évidemment il s’agisse ici d’une propriété très spéciale et dont nous avons quelque mal à nous faire une idée.

  1. North. Tr., p. 159-160.
  2. Ibid.
  3. Ibid., p. 255 ; Nat. Tr., p. 202, 203.
  4. A. L. P. Cameron, On Two Queensland Tribes, in Science of Man, Australasian Anthropological Journal, 1904, VII, 28, col. 1.