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On pourrait signaler d’autres tissus organiques qui, à des degrés divers, manifestent des propriétés analogues : tels sont les favoris, le prépuce, la graisse du foie, etc.[1]. Mais il est inutile de multiplier les exemples. Ceux qui précèdent suffisent à prouver qu’il existe chez l’homme quelque chose qui tient le profane à distance et qui possède une efficacité religieuse ; en d’autres termes, l’organisme humain recèle dans ses profondeurs un principe sacré qui, dans des circonstances déterminées, vient ostensiblement affleurer au-dehors. Ce principe ne diffère pas spécifiquement de celui qui fait le caractère religieux du totem. Nous venons de voir, en effet, que les substances diverses dans lesquelles il s’incarne plus éminemment entrent dans la composition rituelle des instruments du culte (nurtunja, dessins totémiques), ou servent à des onctions dont le but est de revivifier les vertus soit des churinga soit des rochers sacrés ; ce sont donc choses de même espèce.

Toutefois, la dignité religieuse qui, à ce titre, est inhérente à chaque membre du clan n’est pas égale chez tous. Les hommes la possèdent à un plus haut degré que les femmes ; par rapport à eux, elles sont comme des profanes[2]. Aussi, toutes les fois où il y a une assemblée soit du groupe totémique soit de la tribu, les hommes forment un camp à part, distinct de celui des femmes et fermé à ces dernières :

  1. Le prépuce, une fois détaché par la circoncision, est parfois dissimulé aux regards tout comme le sang ; il a des vertus spéciales ; par exemple, il assure la fécondité de certaines espèces végétales et animales (North. Tr., p. 353-354). Les favoris sont assimilés aux cheveux et traités comme tels (North. Tr., p. 544, 604). Ils jouent d’ailleurs un rôle dans les mythes (ibid., p. 158). Quant à la graisse, son caractère sacré ressort de l’emploi qui en est fait dans certains rites funéraires.
  2. Ce n’est pas à dire que la femme soit absolument profane. Dans les mythes, elle joue, au moins chez les Arunta, un rôle religieux beaucoup plus important que celui qu’elle a dans la réalité (Nat. Tr., p. 195-196). Maintenant encore, elle prend part à certains rites de l’initiation. Enfin, son sang a des vertus religieuses (v. Nat. Tr., p. 464 ; cf. La prohibition de l’inceste et ses origines, Année sociol., I, p. 51 et suiv.).
    C’est de cette situation complexe de la femme que dépendent les interdits exogamiques. Nous n’en parlons pas ici, parce qu’ils se rattachent plus directement au problème de l’organisation domestique et matrimoniale.