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apparent sur certains points privilégiés. Il y a des organes et des tissus qui en sont spécialement marqués : ce sont surtout le sang et les cheveux.

Le sang humain, tout d’abord, est chose si sainte que, dans les tribus de l’Australie centrale, il sert très souvent à consacrer les instruments les plus respectés du culte. Le nurtunja, par exemple, est, dans certains cas, religieusement oint, de haut en bas, avec du sang d’homme[1]. C’est sur un terrain tout détrempé de sang que les gens de l’Émou, chez les Arunta, dessinent l’emblème sacré[2]. Nous verrons plus loin comment les flots de sang sont répandus sur les rochers qui représentent les plantes ou les animaux totémiques[3]. Il n’est pas de cérémonie religieuse où le sang n’ait quelque rôle à jouer[4]. Au cours de l’initiation, il arrive que des adultes s’ouvrent les veines et arrosent de leur sang le novice ; et ce sang est une chose si sacrée qu’il est défendu aux femmes d’être présentes tandis qu’il coule ; la vue leur en est interdite, tout comme celle d’un churinga[5]. Le sang que perd le jeune initié pendant les opérations violentes qu’il est tenu de subir a des vertus toutes particulières : il sert à diverses communions[6]. Celui qui s’écoule pendant la subincision est, chez les Arunta, pieusement recueilli et enterré en un lieu sur lequel on place une pièce de bois qui signale aux passants la sainteté de l’endroit ; aucune femme ne doit en approcher[7]. C’est, d’ail-

  1. Nat. Tr., p. 284.
  2. Ibid., p. 179.
  3. V. Iiv. III, chap. II. Cf. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 184, 201.
  4. Nat. Tr., p. 204, 262, 284.
  5. Chez les Dieri, les Parnkalla. V. Howitt, Nat. Tr., p. 658, 661, 668, 669-671.
  6. Chez les Warramunga, le sang de la circoncision est bu par la mère (North. Tr., p. 352). Chez les Binbinga, le sang dont est souillé le couteau qui a servi à la subincision doit être sucé par l’initié (ibid., p. 368). D’une manière générale, le sang qui provient des parties génitales passe pour exceptionnellement sacré (Nat. Tr., p. 464 ; North. Tr., p. 598).
  7. Nat. Tr., p. 268.