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stéréotypés ; tout le monde exécute les mêmes dans les mêmes circonstances et ce conformisme de la conduite ne fait que traduire celui de la pensée. Toutes les consciences étant entraînées dans les mêmes remous, le type individuel se confond presque avec le type générique. En même temps que tout est uniforme, tout est simple. Rien n’est fruste comme ces mythes composés d’un seul et même thème qui se répète sans fin, comme ces rites qui sont faits d’un petit nombre de gestes recommencés à satiété. L’imagination populaire ou sacerdotale n’a encore eu ni le temps ni les moyens de raffiner et de transformer la matière première des idées et des pratiques religieuses ; celle-ci se montre donc à nu et s’offre d’elle-même à l’observation qui n’a qu’un moindre effort à faire pour la découvrir. L’accessoire, le secondaire, les développements de luxe ne sont pas encore venus cacher le principal[1]. Tout est réduit à l’indispensable, à ce sans quoi il ne saurait y avoir de religion. Mais l’indispensable, c’est aussi l’essentiel, c’est-à-dire ce qu’il nous importe avant tout de connaître.

Les civilisations primitives constituent donc des cas privilégiés, parce que ce sont des cas simples. Voilà pourquoi, dans tous les ordres de faits, les observations des ethnographes ont été souvent de véritables révélations qui ont rénové l’étude des institutions humaines. Par exemple, avant le milieu du xixe siècle, on était convaincu que le père était l’élément essentiel de la famille ; on ne concevait même pas qu’il pût y avoir une organisation familiale dont le pouvoir paternel ne fût pas la clef de voûte. La découverte de Bachofen est venue renverser cette vielle concep-

  1. Ce n’est pas à dire, sans doute, que tout luxe fasse défaut aux cultes primitifs. Nous verrons, au contraire, qu’on trouve, dans toute religion, des croyances et des pratiques qui ne visent pas des fins étroitement utilitaires (liv. III, chap. IV, § 2). Mais ce luxe est indispensable à la vie religieuse ; il tient à son essence même. D’ailleurs, il est beaucoup plus rudimentaire dans les religions inférieures que dans les autres, et c’est ce qui nous permettra d’en mieux déterminer la raison d’être.