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quelque acte de sa vie légendaire[1]. Or ces ancêtres nous sont, en même temps, présentés dans les mythes comme appartenant eux-mêmes à des clans qui avaient des totems parfaitement réguliers, c’est-à-dire empruntés à des espèces animales ou végétales. Les dénominations totémiques qui commémorent les faits et gestes de ces héros ne peuvent donc avoir été primitives, mais elles correspondent à une forme de totémisme déjà dérivée et déviée. Il est permis de se demander si les totems météorologiques n’ont pas la même origine ; car le Soleil, la Lune, les astres sont souvent identifiés avec les ancêtres de l’époque fabuleuse[2].

Quelquefois, mais non moins exceptionnellement, c’est un ancêtre ou un groupe d’ancêtres qui sert directement de totem. Le clan se nomme alors, non d’après une chose ou une espèce de choses réelles, mais d’après un être purement mythique. Spencer et Gillen avaient déjà signalé deux ou trois totems de ce genre. Chez les Warramunga et chez les Tjirilli, il existe un clan qui porte le nom d’un ancêtre, appelé Thaballa, et qui semble incarner la gaieté[3]. Un autre clan Warramunga porte le nom d’un serpent fabuleux, monstrueux, appelé Wollunqua, et dont le clan est censé descendu[4]. Nous devons à Strehlow quelques faits similaires[5]. Dans tous les cas, il est assez aisé d’entrevoir

  1. Par exemple, un de ces totems est une cavité où un ancêtre du totem du Chat sauvage s’est reposé ; un autre est une galerie souterraine ou un ancêtre du clan de la Souris a creusé, etc. (Ibid., p. 72).
  2. Nat. Tr., p. 561 et suiv. Strehlow, II, p. 71, n. 2. Howitt, Nat. Tr., p. 246 et suiv. ; On Australian Medicine Men, J.A.I. XVI, p. 53 ; Further notes on the Australian Class Systems, J.A.I. XVIII, p. 63 et suiv.
  3. Thaballa signifie le garçon qui rit, d’après la traduction de Spencer et Gillen. Les membres du clan qui porte son nom croient l’entendre rire dans les rochers qui lui servent de résidence (North. Tr., p. 207, 215, 227, note). D’après le mythe rapporte p. 422, il y aurait eu un groupe initial de Thaballa mythiques (cf. p. 208). Le clan des Kati, des hommes pleinement développés, full-grown men comme disent Spencer et Gillen, paraît bien être du même genre (North. Tr., p. 207).
  4. North. Tr., p. 226 et suiv.
  5. Strehlow, II, p. 71-72. Strehlow cite chez les Loritja et les Arunta un totem qui rappelle de très près celui du serpent Wollunqua : c’est le totem du serpent mythique d’eau.