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avait déjà rapproché le totémisme des grandes religions de l’antiquité ; mais c’était uniquement parce qu’il croyait retrouver, ici et là, un culte des animaux et des plantes. Or, réduire le totémisme à n’être qu’une sorte de zoolâtrie ou de phytolâtrie, c’était n’apercevoir que ce qu’il a de plus superficiel ; c’était même en méconnaître la nature véritable. Smith, par-delà la lettre des croyances totémiques, s’efforça d’atteindre les principes profonds dont elles dépendent. Déjà, dans son livre sur La parenté et le mariage dans l’Arabie primitive[1], il avait fait voir que le totémisme suppose une consubstantialité, naturelle ou acquise, de l’homme et de l’animal (ou de la plante). Dans sa Religion des Sémites[2], il fit de cette même idée l’origine première de tout le système sacrificiel : c’est au totémisme que l’humanité devrait le principe de la communion alimentaire. Et sans doute, on peut trouver que la théorie de Smith était unilatérale ; elle n’est plus adéquate aux faits actuellement connus ; mais elle ne laissait pas de contenir une vue géniale et elle a exercé, sur la science des religions, la plus féconde influence. C’est de ces mêmes conceptions que s’inspire le Golden Bough[3] de Frazer ou le totémisme que Mc Lennan avait rattaché aux religions de l’antiquité classique et Smith à celles des sociétés sémitiques, se trouve relié au folklore européen. L’école de Mc Lennan et celle de Morgan venaient ainsi rejoindre celle de Mannhardt[4].

Pendant ce temps, la tradition américaine continuait à se développer avec une indépendance qu’elle a, d’ailleurs, conservée jusqu’à des temps tout récents. Trois groupes de

  1. Kinship and Marriage in Early Arabia, Cambridge, 1885.
  2. The Religion of the Semites, 1° éd., 1889. C’est la rédaction d’un cours professé à l’Université d’Aberdeen en 1888. Cf. l’article Sacrifice dans l’Encyclopaedia Britannica.
  3. Londres, 1890. Depuis, une seconde édition en trois volumes a paru (1900) et une troisième en cinq volumes est déjà en cours de publication.
  4. Dans la même direction, il convient de citer l’intéressant ouvrage de Sidney Hartland, The Legend of Perseus, 3 vol., 1894-1896.