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récentes tendraient à prouver que les divinités védiques n’avaient pas toutes le caractère exclusivement naturiste que leur prêtaient Max Müller et son école[1]. Mais nous laisserons de côté ces questions dont l’examen suppose une compétence très spéciale de linguiste, pour nous en prendre aux principes généraux du système. Aussi bien y a-t-il intérêt à ne pas confondre trop étroitement l’idée naturiste avec ces postulats controversés ; car elle est admise par nombre de savants qui ne font pas jouer au langage le rôle prépondérant que lui attribue Max Müller.

Que l’homme ait intérêt à connaître le monde qui l’entoure et que, par suite, sa réflexion s’y soit vite appliquée, c’est ce que tout le monde admettra sans peine. Le concours des choses avec lesquelles il était immédiatement en rapports lui était trop nécessaire pour qu’il n’ait pas cherché à en scruter la nature. Mais si, comme le prétend le naturisme, c’est de ces réflexions qu’est née la pensée religieuse, il est inexplicable qu’elle ait pu survivre aux premiers essais qui en furent faits et la persistance avec laquelle elle s’est maintenue devient inintelligible. Si, en effet, nous avons besoin de connaître les choses, c’est pour agir d’une manière qui leur soit appropriée. Or, la représentation que la religion nous donne de l’univers, surtout à l’origine, est trop grossièrement tronquée pour avoir pu susciter des pratiques temporellement utiles. Les choses ne sont rien moins que des êtres vivants et pensants, des consciences, des personnalités comme celles dont l’imagination religieuse a fait les agents des phénomènes cosmiques. Ce n’est donc pas en les concevant sous cette forme et en les traitant d’après cette conception que l’homme pouvait les faire concourir à ses fins. Ce n’est pas en leur adressant des prières, en les célébrant par des

  1. Oldenberg, La religion du Veda, p. 59 et suiv., Meillet, Le dieu iranien Mithra, in Journal asiatique, X n° 1, juillet-août 1907, p. 143 et suiv.