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sous l’influence de diverses circonstances[1], en partie accidentelles, les âmes des hommes, une fois dégagées du corps, auraient été peu à peu attirées dans le cercle des être divins et elles auraient ainsi fini par être elles-mêmes divinisées. Mais ce nouveau culte ne serait le produit que d’une formation secondaire. C’est ce que prouve, d’ailleurs, le fait que les hommes divinisés ont très généralement été des dieux imparfaits, des demi-dieux, que les peuples ont toujours su distinguer des divinités proprement dites[2].

II

Cette doctrine repose, en partie, sur un certain nombre de postulats linguistiques qui ont été et qui sont encore très discutés. On a contesté la réalité de beaucoup de ces concordances que Max Müller croyait observer entre les noms qui désignent les dieux dans les différentes langues européennes. On a surtout mis en doute l’interprétation qu’il en a donnée : on s’est demandé si, loin d’être l’indice d’une religion très primitive, elles ne seraient pas le produit tardif soit d’emprunts directs, soit de rencontres naturelles[3]. D’autre part, on n’admet plus aujourd’hui que les racines aient existé à l’état isolé, en qualité de réalités autonomes, ni, par conséquent, qu’elles permettent de reconstruire, même hypothétiquement, la langue primitive des peuples indo-européens[4]. Enfin, des recherches

  1. V. pour le détail Anthrop. rel., p. 351 et suiv.
  2. Anthrop. rel., p. 130. — Ce qui n’empêche pas Max Müller de voir dans le christianisme l’apogée de tout ce développement. La religion des ancêtres, dit-il, suppose qu’il y a quelque chose de divin dans l’homme. Or, n’est-ce pas là l’idée qui est à la base de l’enseignement du Christ ? (ibid., p. 378 et suiv.). Il est inutile d’insister sur ce qu’a d’étrange une conception qui fait du christianisme le couronnement du culte des mânes.
  3. V. sur ce point la discussion à laquelle Gruppe soumet les hypothèses de Max Müller dans Griechische Kulte und Mythen, p. 79-184.
  4. V. Meillet, Introduction à l’étude comparative des langues indo-européennes, 2° éd., p. 119.