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I

Nous avons vu que le postulat sous-entendu de l’animisme est que la religion, à son origine tout au moins, n’exprime aucune réalité expérimentale. C’est du principe contraire que part Max Müller. Pour lui, c’est un axiome que la religion repose sur une expérience dont elle tire toute son autorité. « La religion, dit-il, pour tenir la place qui lui revient comme élément légitime de notre conscience, doit, comme toutes nos autres connaissances, commencer par une expérience sensible »[1]. Reprenant à son compte le vieil adage empirique Nihil est in intellectu quod non ante fuerit in sensu, il l’applique à la religion et déclare qu’il ne peut rien y avoir dans la foi qui n’ait été auparavant dans le sens. Voici donc, cette fois, une doctrine qui paraît devoir échapper à la grave objection que nous adressions à l’animisme. Il semble, en effet, que, de ce point de vue, la religion doive nécessairement apparaître, non comme une sorte de vague et confuse rêverie, mais comme un système d’idées et de pratiques bien fondées dans la réalité.

Mais quelles sont les sensations génératrices de la pensée religieuse ? Telle est la question que l’étude des Vedas devait aider à résoudre.

Les noms qu’y portent les dieux sont généralement ou des noms communs, encore employés comme tels, ou d’anciens noms communs dont il est possible de retrouver le sens originel. Or, les uns et les autres désignent les principaux phénomènes de la nature. Ainsi Agni, nom d’une des principales divinités de l’Inde, ne signifiait d’abord que le fait matériel du feu, tel que les sens le perçoivent et sans aucune addition mythologique. Même dans les Vedas, il est encore employé avec cette acception ; en tout cas, ce

  1. Natural Rel., p. 114.