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Ainsi le culte qui, d’après l’hypothèse, devrait être prépondérant dans les sociétés inférieures y est, en réalité, inexistant. En définitive, l’Australien n’est occupé de ses morts qu’au moment même du décès et pendant le temps qui suit immédiatement. Et cependant, ces mêmes peuples pratiquent, comme nous le verrons, à l’égard d’êtres sacrés d’une tout autre nature, un culte complexe, fait de cérémonies multiples qui occupent parfois des semaines et même des mois entiers. Il est inadmissible que les quelques rites que l’Australien accomplit quand il lui arrive de perdre l’un de ses parents aient été l’origine de ces cultes permanents, qui reviennent régulièrement tous les ans et qui remplissent une notable partie de son existence. Le contraste entre les uns et les autres est même tel qu’on est fondé à se demander si ce ne sont pas les premiers qui sont dérivés des seconds, si les âmes des hommes, loin d’avoir été le modèle sur lequel furent imagines les dieux, n’ont pas été conçues, dès l’origine, comme des émanations de la divinité.

IV


Du moment que le culte des morts n’est pas primitif, l’animisme manque de base. Il pourrait donc sembler inutile de discuter la troisième thèse du système, celle qui concerne la transformation du culte des morts en culte de la nature. Mais comme le postulat sur lequel elle repose se retrouve même chez des historiens de la religion qui n’admettent pas l’animisme proprement dit, tels que Brinton[1], Lang[2], Réville[3], Robertson Smith lui-même[4], il est nécessaire d’en faire l’examen.

  1. The Religions of Primitive Peoples, p. 47 et suiv.
  2. Mythes, cultes et religions, p. 50.
  3. Les religions des peuples non civilisés, II, Conclusion.
  4. The Religion of the Semites, 2° éd., p. 126, 132.