Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son action ne peut s’exercer utilement que s’il existe tout un système d’organes secondaires qui la diversifient. C’est donc eux qu’il faut, avant tout, susciter.

Il y a cependant un suicide qui ne saurait être arrêté par ce procédé; c’est celui qui résulte de l'anomie conjugale. Ici, il semble que nous soyons en présence d’une insoluble antinomie.

Il a pour cause, avons-nous dit, l’institution du divorce avec l’ensemble d’idées et de mœurs dont cette institution résulte et qu’elle ne fait que consacrer. S’ensuit-il qu’il faille l’abroger là où elle existe? C’est une question trop complexe pour pouvoir être traitée ici; elle ne peut être abordée utilement qu’à la fin d’une étude sur le mariage et sur son évolution. Pour l’instant, nous n’avons à nous occuper que des rapports du divorce et du suicide. À ce point de vue, nous dirons : Le seul moyen de diminuer le nombre des suicides dus à l’anomie conjugale est de rendre le mariage plus indissoluble.

Mais ce qui rend le problème singulièrement troublant et lui donne presque un intérêt dramatique, c’est que l’on ne. peut diminuer ainsi les suicides d’époux sans augmenter ceux des épouses. Faut-il donc sacrifier nécessairement l'un des deux sexes et la solution se réduit-elle à choisir, entre ces deux maux, le moins grave? On ne voit pas quelle autre serait possible, tant que les intérêts des époux dans le mariage seront aussi manifestement contraires. Tant que les uns auront, avant tout, besoin de liberté et les autres de discipline, l’institution matrimoniale ne pourra profiter également aux uns et aux autres. Mais cet antagonisme, qui rend actuellement la solution sans issue, n’est pas irrémédiable et on peut espérer qu’il est destiné à disparaître.

Il vient, en effet, de ce que les deux sexes ne participent pas également à la vie sociale. L’homme y est activement mêlé tandis que la femme ne fait guère qu’y assister à distance. 11 en résulte qu’il est socialisé à un bien plus haut degré qu’elle. Ses goûts, ses aspirations, son humeur ont, en grande partie,