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LE SUICIDE ET LES ÉTATS PSYCHOPATHIQUES.

sive ou une dépression extrême, ou une perversion générale. Il y a surtout absence d’équilibre et de coordination dans la pensée comme dans l’action. Le malade raisonne, et cependant ses idées ne s’enchaînent pas sans lacunes ; il ne se conduit pas d’une manière absurde, mais sa conduite manque de suite. Il n’est donc pas exact de dire que la folie puisse se faire sa part, et une part restreinte ; dès qu’elle pénètre l’entendement, elle l’envahit tout entier.

D’ailleurs, le principe sur lequel on appuyait l’hypothèse des monomanies est en contradiction avec les données actuelles de la science. L’ancienne théorie des facultés ne compte plus guère de défenseurs. On ne voit plus dans les différents modes de l’activité consciente des forces séparées qui ne se rejoignent et ne retrouvent leur unité qu’au sein d’une substance métaphysique, mais des fonctions solidaires ; il est donc impossible que l’une soit lésée sans que cette lésion retentisse sur les autres. Cette pénétration est même plus intime dans la vie cérébrale que dans le reste de l’organisme : car les fonctions psychiques n’ont pas des organes assez distincts les uns des autres pour que l’un puisse être atteint sans que les autres le soient. Leur répartition entre les différentes régions de l’encéphale n’a rien de bien défini, comme le prouve la facilité avec laquelle les différentes parties du cerveau se remplacent mutuellement, si l’une d’elles se trouve empêchée de remplir sa tâche. Leur enchevêtrement est donc trop complet pour que la folie puisse frapper les unes en laissant les autres intactes. À plus forte raison, est-il tout à fait impossible qu’elle puisse altérer une idée ou un sentiment particulier sans que la vie psychique soit altérée dans sa racine. Car les représentations et les tendances n’ont pas d’existence propre ; elles ne sont pas autant de petites substances, d’atomes spirituels qui, en s’agrégeant, forment l’esprit. Mais elles ne font que manifester extérieurement l’état général des centres conscients ; elles en dérivent et elles l’expriment. Par conséquent, elles ne peuvent avoir de caractère morbide sans que cet état soit lui-même vicié.

Mais si les tares mentales ne sont pas susceptibles de se