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CONi>ÉQUENCES PRATIQUES. 423 avec cette soudaineté. Ce n’est que par une suite de inodiQca- tions lentes et presque insensibles qu’elle arrive à revêtir d’autres caractères. Encore les transformations qui sont ainsi possibles sont-elles restreintes. Une fois qu’un type social est fixé, il n’est plus indéfiniment plastique; une limite est vite atteinte qui ne saurait être dépassée. Les changements que sup- pose la statistique des suicides contemporains ne peuvent donc pas être normaux. Sans même savoir avec précision en quoi ils consistent, on peut affirmer par avance qu’ils résultent, non d’une évolution régulière, mais d’un ébranlement maladif qui a bien pu déraciner les institutions du passé, mais sans rien mettre à la place; car ce n’est pas en quelques années que peut se re- faire l’œuvre des siècles. Mais alors, si la cause est anormale, il n’en peut être autrement de l’effet. Ce qu’atteste, par consé- quent, la marée montante des morts volontaires, ce n’est pas l’éclat croissant de notre civilisation, mais un état de crise et de perturbation qui ne peut se prolonger sans danger. A ces différentes raisons, une dernière peut être ajoutée. S’il est vrai que, normalement, la tristesse collective ait un rôle à jouer dans la vie des sociétés, d’ordinaire, elle n’est ni assez gé- nérale ni assez intense pour pénétrer jusqu’aux centres supé- rieurs du corps social. Elle reste à l’état de courant sous-jacent, que le sujet collectif sent obscurément, dont il subit par consé- quent l’action, mais sans qu’il s’en rende clairement compte. Tout au moins, si ces vagues dispositions arrivent à affec- ter la conscience commune, ce n’est que par poussées partielles et intermittentes. Aussi, généralement, ne s’expriment-elles que sous forme de jugements fragmentaires, de maximes isolées, qui ne se relient pas les unes aux autres, qui ne visent à exprimer, en dépit de leur air absolu, qu’un aspect de la réalité, et que des maximes contraires corrigent et complètent. C’est de laque vien- nent ces aphorismes mélancoliques, ces boutades proverbiales contre la vie dans lesquelles se complaît parfois la sagesse des nations, mais qui ne sont pas plus nombreuses que les préceptes opposés. Elles traduisent évidemment des impressions passagè- res qui n’ont fait que traverser la conscience sans même l’occuper