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perfectionnement. On a dit parfois qu’un opticien rougirait d’avoir fabriqué un instrument de vision aussi grossier que l’œil humain. Mais on n’en a pas conclu et on ne pouvait pas en conclure que la structure de cet organe est anormale. Il y a plus ; il est impossible que ce qui est nécessaire n’ait pas en soi quelque perfection, pour employer le langage un peu théologique de nos adversaires. Ce qui est condition indispensable de la me ne peut pas nétre pas utile, à moins que la vie ne soit pas utile. On ne sortira pas de là. Et en effet, nous avons montré comment le crime peut servir. Seulement, il ne sert que s’il est réprouvé et réprimé. On a cru à tort que le seul fait de le cataloguer parmi les phénomènes de sociologie normale en impliquait l’absolution. S’il est normal qu’il y ait des crimes, il est normal qu’ils soient punis. La peine et le crime sont les deux termes d’un couple inséparable. L’un ne peut pas plus faire défaut que l’autre. Tout relâchement anormal du système répressif a pour effet de stimuler la criminalité et de lui donner un degré d’intensité anormal.

Appliquons ces idées au suicide.

Nous n’avons pas, il est vrai, d’informations suffisantes pour pouvoir assurer qu’il n’y a pas de société où le suicide ne se rencontre. Il n’y a qu’un petit nombre de peuples pour lesquels la statistique nous renseigne sur ce point. Quant aux autres, l’existence d’un suicide chronique ne peut être attesté que par les traces qu’il laisse dans la législation. Or nous ne savons pas avec certitude si le suicide a été partout l’objet d’une réglementation juridique. Mais on peut affirmer que c’est le cas le plus général. Tantôt il est prescrit, tantôt il est réprouvé ; tantôt l’interdiction dont il est frappé est formelle, tantôt elle comporte des réserves et des exceptions. Mais toutes les analogies permettent de croire qu’il n’a jamais dû rester indifférent au droit et à la morale; c’est-à-dire qu’il a toujours eu assez d’importance pour attirer sur lui le regard de la conscience publique. En tout cas, il est certain que des courants suicidogènes, plus ou moins intenses selon les époques, ont existé de tout temps chez les peuples européens; la statistique nous en fournit la preuve dès le