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400 LE SUICIDE. "* S’il est des pays qui cumulent le suicide et rhomicide, c’est toujours en proportions inégales; jamais ces deux manifesta- tions n’atteignent leur maximum d’intensité sur le même point. Même c’est une règle générale que, là où l’homicide est très dé- veloppé, il confère une sorte d’immunité contre le suicide. L’Espagne, l’Irlande et l’Italie sont les trois pays d’Europe où l’on se tue le moins; le premier compte 17 cas pour un million d’habitants, le second 21 et le troisième 37. Inversement, il n’en est pas où l’on tue autant. Ce sont les seules contrées oit le nombre des meurtres dépasse celui des morts volontaires ; l’Es- pagne a trois fois plus des uns que des autres (1.484 homicides en moyenne pendant les années 188S-89 et S14 suicides seule- ment), l’Irlande le double (223 d’un côté et 116 de l’autre), l’I- talie une fois et demi autant (2.322 contre 1.437). Au contraire, la France et la Prusse sont très fécondes en suicides (160 et 260 cas pour un million); les homicides y sont dix fois moins nom- breux : la France n’en compte que 734 cas et la Prusse 459, par année moyenne de la période 1882-88. Les mêmes rapports s’observent à l’intérieur de chaque pays. (les homicides classés par erreur parmi les morts volontaires ou accidentelles. Or, comme le nombre des unes et des autres a augmenté depuis le début du siècle, il en conclut que le chiffre des homicides placés sous Pune ou l’autre de ces deux étiquettes a dû croître également. Voilà donc encore, dit-il, une aug- mentation sérieuse dont il faut tenir compte, si Ton veut apprécier exactement la marche de l’homicide. — Mais le raisonnement repose sur une confusion. De ce que le chiffre des morts accidentelles et volontaires a crû, il ne suit pas qu*il en soit de même des homicides rangés à tort sous cette rubrique. De ce qu*il y a plus de suicides et plus d’accidents, il ne résulte pas qu’il y ait aussi plus de faux suicides et de faux accidents. Pour qu’une pareille hypothèse eût quel- que vraisemblance, il faudrait établir que les enquêtes administratives ou ju- diciaires , dans les cas douteux , se font plus mal qu’autrefois ; supposition à laquelle nous ne connaissons aucun fondement. M. Tarde, il est vrai, s’é- tonne qu’il y ait aujourd’hui plus de morts par submersion que jadis et il est disi)osé à voir, sous cet accroissement, un accroissement dissimulé d’homi- cides. Mais le nombre des morts par la foudre a encore beaucouj) plus aug- menté; il a doublé. La malveillance criminelle n’y est pourtant pour rien. La vérité, c’est d’abord que les recensements statistiques se font plus exacte- ment et, pour les cas de submersion , que les bains de mer plus fréquentés, les j)oriS plus actifs, les bateaux plus nombreux sur nos rivières donnent lieu À plus d’accidents.