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LE SUICIDE ET LES AUTRES PHENOMENES SOCIAUX. 371 qués. Les nobles encouraient la déchéance et étaient déclarés roturiers; on coupait leurs bois, on démolissait leur château, on brisait leurs armoiries. Nous avons encore un arrêt du Parle- ment de Paris, rendu le 31 janvier 1749, conformément à cette législation. Par une brusque réaction, la révolution de 1789 abolit toutes ces mesures répressives et raya le suicide de la liste des crimes légaux. Mais toutes les religions auxquelles appartiennent les Français continuent à le prohiber et à le punir, et la morale commune le réprouve. Il inspire encore à la conscience popu- laire un éloignement qui s’étend aux lieux où le suicidé a ac- compli sa résolution et à toutes les personnes qui lui touchent de près. Il constitue une tare morale, quoique l’opinion semble avoir une tendance à devenir sur ce point plus indulgente qu’autrefois. Il n’est pas, d’ailleurs, sans avoir conservé quelque chose de son ancien caractère criminologique. D’après la juris- prudence la plus générale, le complice du suicide est poursuivi comme homicide. Il n’en serait pas ainsi si le suicide était con- sidéré comme un acte moralement indifférent. On retrouve cette même législation chez tous les peuples chrétiens et elle est restée presque partout plus sévère qu’en France. En Angleterre, dès le x* siècle, le roi Edgard, dans un des Canons publiés par lui, assimilait les suicidés aux voleurs, aux assassins, aux criminels de tout genre. Jusqu’en 1823, ce fut Tusage de traîner le corps du suicidé dans les rues avec un bâton passé au travers et de l’enterrer sur un grand chemin, sans aucune cérémonie. Aujourd’hui encore, l’ensevelissement a lieu à part. Le suicidé était déclaré félon {felo de se) et ses biens étaient acquis à la Couronne. C’est seulement en 1870 que cette disposition fut abolie, en même temps que toutes les confiscations pour cause de félonie. Il est vrai que l’exagéra- tion de la peine l’avait, depuis longtemps, rendue inapphcable; le jury tournait la loi en déclarant le plus souvent que le suicidé avait agi dans un moment de folie et, par conséquent, était irresponsable. Mais l’acte reste qualifié crime; il est, chaque fois qu’il est commis, l’objet d’une instruction régulière et d’un