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362 LE SUICIDE. -tion de particules inanimées. Si donc le psychologue et le bio- logiste regardent avec raison comme bien fondés les phénomènes qu’ils étudient, par cela seul qu’ils sont rattachés à une combinaison d’éléments de l'ordre immédiatement inférieur, pour- quoi en serait-il autrement en sociologie? Ceux-là seuls pourraient juger une telle base insuffisante, qui n’ont pas renoncé à l’hypothèse d’une force vitale et d’une âme substantielle. Ainsi, rien n’est moins étrange que cette proposition dont on a cru devoir se scandaliser(1) : Une croyance ou une pratique sociale est susceptible d’exister indépendamment de ses expressions individuelles. Par là, nous ne songions évidemment pas à dire que la société est possible sans individus, absurdité manifeste dont on aurait pu nous épargner le soupçon. Mais nous entendions : 1° que le groupe formé par les individus associés est une réalité d’une autre sorte que chaque individu pris à part; 2° que les états collectifs existent dans le groupe de la nature duquel ils dérivent, avant d’affecter l’individu en tant que tel et de s’organiser en lui, sous une forme nouvelle, une existence pure- ment intérieure.

 Cette façon de comprendre les rapports de l’individu avec la 

société rappelle, d’ailleurs, l’idée que les zoologistes contemporains tendent à se faire des rapports qu’il soutient également avec l’espèce ou la race. La théorie très simple, d’après laquelle l’espèce ne serait qu’un individu perpétué dans le temps et généralisé dans l’espace, est de plus en plus abandonnée. Elle vient, en effet, se heurter à ce fait que les variations qui se produisent chez un sujet isolé ne deviennent spécifiques que dans des cas très rares et, peut-être, douteux (2). Les caractères distinctifs de la race ne changent chez l’individu que s’ils changent dans la race en général. Celle-ci aurait donc quelque réalité, d’où procéderaient les formes diverses qu’elle prend chez les êtres particuliers, loin d’être une généralisation de ces dernières. Sans doute, nous ne pouvons regarder ces doctrines comme définitivement démon- (1) V. Tarde, op. cit., p. 212. (2) V. Delage, Structure du protoplasme, passion; Weissmann, L’hérédité et toutes les théories qui se rapprochent de celle de Weissmann.