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DIFFÉRENTS TYPES DE SUICIDES. 31 S pour méditer sur son amour. Ses passions ne sont qu’apparen- tes; car elles sont stériles. Elles se dissipent en vaines com- binaisons d’images, sans rien produire qui leur soit extérieur. Mais d’un autre côté , toute vie intérieure tire du dehors sa matière première. Nous ne pouvons penser que des objets ou la manière dont nous les pensons. Nous ne pouvons pas réfléchir notre lîonscience dans un état d’indétermination pure; sous celte forme, elle est impensable. Or, elle ne se détermine qu’af- fectée par autre chose qu^elle-même. Si donc elle s’individualise au detà d’un certain point, si elle se sépare trop radicalem-ent des autres êtres, hommes ou choses, elle se trouve ne plus com- muniquer avec les sources mêmes auxquelles elle devrait nor- malement s’alimenter et n’a plus rien à quoi elle puisse s’ap- pliquer. En faisant le vide autour d’elle, elle a fait le vide en elle et il ne lui reste plus rien à réfléchir que sa propre misère. Elle n’a plus pour objet de méditation que le néant qui est en elle et la tristesse qui en est la conséquence. Hle s’y complaît, s’y abandonne avec une sorte de joie maladive que Lamartine, qui la connaissait, a merveilleusement décrite par la bouche de son héros : « La langueur de toutes choses autour de moi était, dit-il, une merveilleuse consonance avec ma propre langueur. Elle l’accroissait en la charmant. Je me plongeais dans des abî- mes de tristesse. Mais cette tristesse était vivante, assez pleine de pensées, d’impi»essians, de communications avec l’infini, de dair-obscttr dans mon âme poiir que je ne désirasse pas «m’y -SDustiwipe. Maladie de l’homme, mais maladie dont le sentim<^nt même est urn attrait au lieu d être «une deialeur, et où la mort •ressemble à un voluptueux évanouissement dans l’infini. J’étais -pésDlii i m’y livrer désormais tout entier, à me séquestrer de toute société qui pouvait m’en distraire, et à m ’envelopper de silence, de solitude et de froideur, au milieu du monde «que je ipenoanla^pais là; mon isolement d’esprit était un linceul à tra- vers lequel je ne voulais plus "voir les hommes, mais seulement la nature et Dieu W ». (1) Raphaël, Édit. Hachette, p. 6.