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314 LE SUICIDE. I.

est une première forme de suicide que Tantiquité a certai- 

nement connue, mais qui s’est surtout déveJoppée de nos jours; le Raphaël de Lamartine nous en offre le type id-éal. Ce qui la caractérise, c’est un état de langueur mélancolique qui dé- tend les ressorts de l’action . Les affaires, les fonctions publi- ques, le travail utile, même les devoirs domestiques n’inspi- rent au sujet qu’indifférence et qu’éloignement. 11 répugne à sortir de lui-même. En revanche, la pensée et la vie intérieure gagnent tout ce que perd l’activité. En se détournant de ce qui l’entoure, la conscience se replie sur elle-même, se prend elle- même comme son propre et unique objet et se donne pour prin- cipale tâche de s’observer et de s’analyser. Mais, par cette extrême concentration, elle ne fait que rendre plus profond le fossé qui la sépare du reste de l’univers. Du moment que Tior- dividu s’éprend à ce point de soi-même, il ne peut que se dé- tacher davantage de tout ce qui n’est pas lui et consacrer, en le renforçant, l’isolement dans lequel il vit. Ce n’est pas en ne regardant que soi, qu’on peut trouver des raisons de s’attacher à autre chose que soi. Tout mouvement, en un sens, est al- truiste, car il est centrifuge et répand l’être hors de lui-même. La réflexion, au contraire, a quelque chose de p^rsodnel et d’é- goïste; car elle n’est possible que dans la mesure où le sujet se dégage de l’objet et s’en éloigne pour revenir sur soi-même^ et elle est d’autant plus intense que ce retour sur soi est plus complet. On ne peut agir qu’en se mêlant au monde ; pour le penser, au contraire, il faut cesser d’être confondu avec lui, de manière à pouvoir le contempler du dehors; à plus forte raison, est-ce nécessaire pour se penser soi-même. Celui donc dont toute l’activité se tourne en pensée intérieure, devient insensible à tout oe qui l’entoure. S’il aime, ce n’est pas pour se donner, pour s’unir, dans une union féconde, à un autre être que lui; c’est